Côte d'Ivoire: une stabilité retrouvée?

Publié le par Jean-François CURTIS

Côte d'Ivoire: une stabilité retrouvée?

A quatre jours de l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire, plusieurs rapports publiés par d'éminentes organisations (ISS, International Crisis Group, Human Rights Watch, etc.) spécialisées en sécurité, relations internationales, justice et stratégie, viennent conforter nos multiples analyses relatives au caractère inachevé du processus ivoirien de stabilisation post-crise.

Nous avions également, publié le 25 septembre 2014, un article intitulé "de la stabilisation post-conflit" ainsi qu'un autre le 24 août 2015, intitulé "élections en Côte d'Ivoire: un scénario à ne pas négliger", pour souligner la nécessité de reconsidérer la stratégie de reconstruction post-crise en la rendant davantage transversale et inclusive. Mieux, des articles plus spécifiques ont été publiés, notamment sur la question du "contrôle démocratique des armées en Afrique" ainsi que sur la Réforme du Secteur de la Sécurité" (RSS). Tous ces articles avaient pour dénominateur commun, la recherche d'un processus de stabilisation post-crise plus efficient et efficace.

En effet, l'institut d'Etudes de Sécurité (ISS) vient de publier son rapport sur l'Afrique de l'Ouest, consacré à la Côte d'Ivoire (numéro 14), dans lequel elle passe en revue les conditions autour des élections à venir, les risques y afférent et les défis à venir. Cet excellent rapport, qui met en exergue le risque d'instabilité politique, du fait d'un ensemble de conditions non-réunies pour garantir une certaine stabilité, pendant et après les élections, est édifiant sur bien des points. Nous vous le recommandons à l'adresse suivante: https://www.issafrica.org/publications/west-africa-report/cote-divoire-2015-une-election-pour-consolider-la-paix

Ces divers rapports pragmatiques et réalistes, viennent corroborer notre analyse sur une éventuelle vague d'instabilité (sporadique), qui pourrait secouer la Côte d'Ivoire dans sa période électorale et post-électorale. D'ailleurs, notre article relatif à un scénario catastrophe qui verrait les forces de sécurité tenir trois fronts simultanés ou progressifs, n'est pas à négliger non plus, tant ce scénario pourrait être combiné avec la contestation en cours dans le pays.

La contestation de l’opposition quant à la tenue desdites élections, dans un climat apaisé et propice, conforte notre analyse quant au fait, que cette contestation pourrait gagner une partie des forces de sécurité et de défense (FRCI). Le rapport de l'ISS nous rejoint sur ce point. Parallèlement à ce front de contestation et de risque d'embrasement localisé, nous avions mis en avant la possibilité d'un front ouest, tenu par les ex-miliciens, non désarmés qui se joindraient à la contestation de l'opposition. Enfin, le dernier front était quant à lui tenu par AQMI au nord de la Côte d'Ivoire, pour affaiblir l'effort militaire et générer un désordre propice à une fronde sociale majeure. Le risque de contestation des résultats de ces élections et de remise en cause de la légitimité du pouvoir après lesdites élections, demeure donc! Ce risque d'instabilité est donc le reflet d'un processus de stabilisation post-crise inachevé ou précipité. Ce scénario catastrophe, "séduisant intellectuellement", n'est donc pas si loin de la réalité ivoirienne, si l'on en croit les experts de l'ISS qui démontrent les carences des processus DDR et de RSS.

Pour conclure, nous réitérons ici, les recommandations que nous avions déjà faites dans nos articles précédents, relativement à la stabilisation post-crise. Ces recommandations sont valables, pour tous les pays traversant une phase d'instabilité politique ou en phase de reconstruction et garantissent une "stabilité retrouvée" :

1/ La question de l'appropriation nationale de la notion de stabilisation multisectorielle est capitale. En effet, plusieurs pays ont essentiellement consacré leur stabilisation autour d'un programme de relance économique ce qui est bien entendu insuffisant. Il faut donc comprendre ce qu'est la stabilisation et en quoi est-ce-qu'elle est multidimensionnelle. Cela relève de la responsabilité politique. D'autres états, ont mis l'accent sur des programmes DDR lourds et coûteux aux résultats mitigés.

2/ La relance économique, la réconciliation et la pacification du territoire doivent être conduits concomitamment. Dans bien des cas, l'un est conduit au détriment des autres, ce qui a pour effet d'affaiblir l'ensemble de l'effort de reconstruction social.

3/ Le caractère inclusif de la stabilisation est crucial pour une reconstruction réussie. Il appartient aux décideurs politiques de permettre que tout processus de stabilisation prenne en compte tous les acteurs nationaux (société civile, ONG, etc.). L'exclusion de l'un de ces acteurs, rendrait le processus fragile car incomplet. Seul un processus de stabilisation participatif est viable.

4/ La stabilité post-crise repose aussi sur plusieurs piliers dont la Bonne Gouvernance, la Justice et la Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS). Ces trois secteurs sont vitaux pour garantir une paix sociale, qui bien souvent peine à se réaliser. La Bonne Gouvernance garantit l'intégrité, la redevabilité et la transparence de l'action publique. La Justice quant à elle, apaise les cœurs meurtris par les crimes commis. Enfin, la RSS est le socle de la reconstruction des systèmes de sécurité qui bien souvent sont défaillants à la sortie d'une crise et qui nécessitent d'être soit repensés soit renforcés. Le cas du Burkina Faso, illustre la nécessité d'une réforme en profondeur de son système de sécurité et de défense. Une armée qui contribue continuellement à déstabiliser un pays, est une armée "en souffrance".

5/ L'apport inestimable tant financier que technique des partenaires extérieurs, est un facteur important d'une stabilisation post-crise réussie. En effet, le rôle des organisations internationales et des partenaires bilatéraux n'est pas à sous-estimer. Bien souvent, ce sont ces acteurs extérieurs qui créent les conditions du retour à la normalité, en accompagnant les pays défigurés par tant d'années de conflit. La Côte d'Ivoire, reflète à titre d'exemple, l'injection de capitaux et la croissance des investissements nécessaires à une relance nationale. La confiance des investisseurs privés est tout aussi capitale.

6/ La tenue d’élections présidentielles dans un contexte de sortie de crise ou de transition est souvent le point de départ ou l'aboutissement de tout processus de stabilisation post-crise. L'organisation d’élections apaisées reposant sur des conditions optimales (caractère inclusif et participatif), garantit une réussite de ce type de processus.

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