De la stratégie d'influence!

Publié le par Jean-François CURTIS

Romain Zerbib: stratégie d'influence et de contre-influence

La stratégie d'influence, est un concept très peu exploité en Afrique, en dépit de sa large diffusion internationale. Les grandes décisions prises par des décideurs, sont dans bien des cas, des décisions sous influence ou sous contrôle. Celui qui influence, contrôle! Nombreux sont ceux, qui appliquent ce concept sans même le savoir. Les questions qui nous viennent alors à l'esprit, sont de savoir "quelle différence entre l'influence et la ruse? Ou encore, quelle différence entre une capacité de persuasion et une capacité d'influence? Jusqu'où l'influence est-elle morale? A quel moment peut-on parler de manipulation, plutôt que d'influence?"

Pour mieux cerner le concept "d'influence", nous utilisons la définition du terme, telle qu'elle est publiée sur le site (strategiedinfluence.com) du spécialiste en stratégie d'influence, Romain Zerbib: " l'influence est une stratégie indirecte, visant à obtenir d'autrui, un assentiment ou un comportement soit par le prestige de son image, soit par une forme quelconque de persuasion ou de formatage des critères de jugement, soit enfin par la médiation d'alliés ou de réseaux. Ou art de faire vouloir à autrui ce que vous voulez." En conséquence, "La stratégie d'influence est l’ensemble de moyens et actions délibérées, hors la force, l’autorité et les contreparties tangibles, coordonnés et destinés à produire un certain effet sur l’évaluation ou la décision d’un individu, d’un groupe ou d’une organisation. Cet effet consiste généralement en un choix entre plusieurs autres possibles (il n’y a de stratégie d’influence que là où l’influencé jouit d’une certaine liberté)."

Il ressort donc de ces définitions, que le champ de la stratégie d'influence est transversal et multidimensionnel. La stratégie d'influence s'applique donc autant à la sphère économique qu'à la sphère militaire. Nous avions publié le 16 décembre 2014, un article qui explorait le lien entre la stratégie militaire et la stratégie d'entreprise. Nous soulignons à nouveau, la complémentarité qu'il y a entre les questions militaires et les affaires civiles. D'ailleurs, lorsqu'un général souhaite obtenir la victoire sans l'usage de la force, il le fait par le biais de l'influence militaire ou encore dénommée "stratagème ou ruse". La guerre psychologique n'est d'ailleurs, qu'un instrument d'influence. Obtenir la victoire, par la manipulation de l'esprit de l'adversaire, est un gage de suprématie militaire. Sun Tsu disait à ce sujet: " L’art suprême de la guerre consiste à dompter son ennemi sans même se battre."

L'application de la citation de Sun Tsu, au milieu des entreprises, concerne essentiellement l'intelligence stratégique. Comment une entreprise arrive-t-elle à convaincre sa cible d'opter pour ses produits? Comment cette entreprise se protège-t-elle de la concurrence? Les moyens déployés à cette fin, relèvent aussi de l'influence. Qu'il s'agisse entre autre, du marketing, du lobbying et des relations publiques, la communication d'influence est aujourd'hui la clé pour atteindre les cibles recherchées, même les plus récalcitrantes.

La notion de propagande est elle-même, au cœur de l'influence. La propagande est un instrument d'influence. Qu'il s'agisse de propagande militaire, économique ou politique. Le but est toujours le même à savoir, influencer l'opinion d'une cible donnée, soit dans un contexte de paix soit dans un contexte de crise. Ramener à la sphère politique, les récentes élections en Côte d'Ivoire, ont révélé une véritable guerre d'influence, qui a opposé les sceptiques quant à un scrutin paisible et les convaincus d'un scrutin apaisé. Ce scrutin s'est finalement déroulé dans un climat positif et sécurisé. Cependant, le taux d'abstention (46%) a témoigné de l'impact des rumeurs et de la guerre psychologique engagée. En effet, la psychose a eu raison de pratiquement la moitié des électeurs inscrits sur la liste électorale et l'affluence n'était pas au rendez-vous. Les lendemains de vote eux aussi, ont témoigné d'une certaine psychose tant les ivoiriens sont restés cloitrés chez eux.

En outre, lorsque la stratégie d'influence est appliquée au terrorisme, son impact est sans appel! L'Etat Islamique, El Shebbab et Boko Haram, pour ne citer que ceux-là, excellent dans l'influence avec pour but la terreur! Atteindre l'opinion internationale au point que la peur et la psychose l'emporte, voilà leur but. C'est aussi ainsi, que ces groupes ont pu gagner du terrain et recruter massivement en se donnant une image "propre" auprès des plus jeunes, à travers une communication d'influence offensive, adaptée et multiforme.

Avant de clore cette réflexion, nous rappelons que l'influence n'est rien sans l'information. D'où, l'intérêt pour les décideurs, de disposer d'outils efficaces de collecte, d'analyse et de diffusion de l'information stratégique ou "renseignement". Les réseaux (associations, médias, syndicats, clubs, chambre de commerce, réseaux sociaux, etc.) sont donc à cet effet, de puissants outils d'influence. Une stratégie d'influence s'appuie donc, sur un dispositif de veille stratégique efficace et proactif.

Enfin, d'un point de vue de la vulgarisation de la stratégie d'influence, il serait opportun que les instances africaines (CEDEAO, etc.) s'imprègnent davantage du concept et prônent sa vulgarisation à travers des séminaires, ateliers, etc. Stratégie d'influence et intelligence stratégique sont intimement liés, d'où l'intérêt pour les décideurs et chercheurs africains de contribuer à cette politique "d'accessibilité du concept". A l'instar des universitaires et chercheurs occidentaux, la création d'espaces dédiés tels que des blogs, des revues, des conférences sur le sujet sont à encourager! De façon générale, nous recommandons, que les questions d'éthiques liées à la stratégie d'influence, soient également davantage développées, notamment sur le volet de la corruption.

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