Terrorisme en Afrique: De la détermination au doute

Publié le par Jean-François CURTIS

Un post de MENASTREAM (@MENASTREAM) datant du 15 juin 2019, annonce qu'une vidéo publiée par l'Etat Islamique En Afrique de L'Ouest (ISWAP Islamic State West Africa Province), montre plusieurs ressortissants du Burkina Faso et du Mali lui faisant allégeance.  Le regain de tensions, d'attaques, d'enlèvements, de harcèlements et de violence liées aux groupes terroristes agissant dans le Sahel et dans toute la sous-région ouest-africaine, dénote de la montée en puissance de toutes les mouvances djihadistes notamment Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin, le «Groupe pour le Soutien de l’Islam et des Musulmans» (Ansar Dine, Front de Libération du Macina, Katiba Serma, AQIM Sahara, Al Mourabitoun), Ansaroul Islam, Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et Katiba Salaheddine.

La problématique qui se dessine alors est la suivante: "Arrivons-nous à bout des groupes terroristes malgré tous les efforts déployés?". A cette question épineuse, il est difficile de répondre tant la détermination de lutter contre le terrorisme est grande mais les résultats sur le terrain sont mitigés. Pour de nombreux observateurs du phénomène, il gagne en terrain à travers une véritable stratégie de conquête, multifacettes et offensive, pendant que la "résistance internationale" peine à faire face. Pour d'autres, les groupes terroristes fusionnent, rivalisent dans leurs faits d'armes macabres mais sont cependant combattus efficacement par la coalition internationale matérialisée par la MINUSMA, la Force Conjointe du G5 Sahel, l'Opération Barkhane (France), la Mission de Renforcement des Capacités de l'Union Européenne au Mali et au Niger (EUCAP Mali, EUTM et EUCAP Niger).

Quoi qu'il en soit, le constat est à relativiser, l'indicateur le plus fiable demeure le nombre de victimes d'actes ou de violence terroristes qui ne cessent de s'accroitre dans la région du Sahel et en Afrique de l'Ouest et bien au-delà sur le continent (Centre d'Etudes Stratégiques de l'Afrique). On peut l'affirmer sans hésiter, l'Afrique de l'ouest et le Sahel sont les espaces privilégiés d'action et d'influence de ces groupes terroristes dont l'expansion témoigne de leur capacité opérationnelle et de leur coopération accrues. Un autre indicateur fiable de l'accroissement de la menace terroriste en Afrique de l'Ouest et au Sahel, est l'importante présence militaire étrangère dans les pays de cette région. En outre, l'accroissement des investissements dans la lutte régionale contre le terrorisme, confirme la tendance d'un fléau en pleine expansion.

Aussi, est-il essentiel de nous interroger sur les freins à une efficace lutte contre le terrorisme dans le Sahel et en Afrique de l'Ouest. Ainsi, nous distinguons quelques obstacles à surmonter dans les meilleurs délais par les Etats africains: 1/ Le frein financier: la nécessaire appropriation de cette lutte dans sa dimension financière pour éviter de dépendre de financements extérieurs trop souvent tardifs ou complexes à mobiliser. Sur ce point nous recommandons l'organisation d'une Table Ronde des Bailleurs de Fonds Africains qui permettra à chaque institution financière africaine de mettre sur la table une contribution à la lutte contre le terrorisme. L'appropriation financière de la lutte par les Etats africains eux-mêmes, est tout aussi valable et permettra de mobiliser des financements conséquents pour former et équiper leurs forces mais aussi pour prévenir la radicalisation. 2/  L'absence d'une alternative politique ou L'impérieuse solution politique comme alternative à la solution militaire. En effet, face à un terrorisme galopant, insidieux, insaisissable, et dévastateur, le moment n'est-il pas à favoriser le dialogue et ainsi créer un cadre de concertation pour une solution politique. Fondamentalement, que veulent les terroristes agissant dans cette région? L'avènement d'une solution politique aux crises malienne et libyenne ne sera-t-elle pas "le début de la fin" des groupes terroristes et de leurs affiliés? Cette piste politique n'est pas à négliger pour un Sahel apaisé et une région ouest-africaine stabilisée, en particulier lorsque la limite militaire est un fait. 3/ L'exagérée immixtion des forces étrangères, jugées inefficaces dans les pays ciblés: relativement à cet obstacle, il apparait judicieux de renforcer les capacités des forces des pays africains, tant d'un point de vue de la formation que de l'équipement. Cela permettrait un retrait progressif des forces étrangères présentes, se limitant à un rôle d'assistance technique (conseil). Les récents événements de contestations et de critiques de la présence militaire étrangère dans plusieurs pays (Niger, Mali, etc.) reflètent cette réalité de nécessaire prise en main par les africains. L'image des forces d'occupation précoloniale est encore présente dans les esprits et ne tardent pas à refaire surface en exacerbant les tensions. 4/ L'insuffisante amélioration des conditions de vie des populations exposées à la propagande djihadiste est une réalité. Le terrorisme dans le Sahel et en Afrique de l'Ouest, se nourrit comme ailleurs, des insuffisances de nos Etats africains. Les questions sociales et économiques sont primordiales dans le relèvement de nos pays et pour permettre une imperméabilité à l'influence terroriste. L'accroissement des conflits intercommunautaires, reflète cette manipulation à des fins de terreur et d'affaiblissement des Etats de la région. "Diviser pour mieux régner", voilà le leitmotiv de la terreur. 5/ Les trafics illicites pour financer l'expansion terroriste: Les groupes terroristes s'appuient depuis plusieurs années sur les trafics illicites (contrebande de carburant, d'armes, de drogue, orpaillage clandestin, etc.) pour financer leurs activités et ainsi générer des ressources pour l'expansion de l'idéologie. Les mesures prises pour lutter contre ces trafics (restrictions de déplacement, couvre-feu, fermeture des marchés, etc..) par plusieurs états fortement touchés par ce fléau tels que le Burkina Faso, le Niger et le Mali sont perçues de façon mitigée (Institute for Strategic Studies). D'un côté elles restreignent les opérations des groupes terroristes mais de l'autre, elles impactent les activités des populations et leurs moyens de subsistances. 6/ L'insuffisante appropriation locale (nationale) de la lutte contre le terrorisme: En effet, l'absence d'une mobilisation véritable des populations des pays affectés pour faire face à la menace grandissante est criarde. La lutte contre le terrorisme devrait faire l'objet d'un élan citoyen à tous les niveaux mais en particulier au niveau financier (levée de fonds nationaux pour la lutte contre le terrorisme). La contribution citoyenne devrait aussi se ressentir dans la prévention de la radicalisation en impliquant davantage les communautés dans la surveillance des comportements suspects et dans la sensibilisation. 7/ L'absence d'une vision locale de la lutte antiterroriste: Là aussi faut-il souligner que plusieurs pays africains ne disposent toujours pas d'un arsenal juridique de répression des actes terroristes. Pire certains n'ont toujours pas développer leur vision de la lutte contre le terrorisme à travers une politique ou stratégie nationale. Alors comment fédérer des efforts autour d'une vision régionale (G5 Sahel) lorsqu'aucune vision locale n'est exprimée clairement? L'incapacité des Etats à protéger leurs populations a occasionné l'émergence de milices paramilitaires, communautaires, incontrôlées dont l'action est aujourd'hui pervertie. D'ailleurs face à une menace asymétrique l'avènement de groupes d'auto défense ou de milices paramilitaires dans certaines localités de ces pays a été considéré par les gouvernants comme une riposte idoine. 8/ L'exacerbation de l'option militaire: En effet, l'option militaire demeure prédominante dans la lutte contre terroriste. D'ailleurs le choix de créer un Centre International de Lutte Contre le Terrorisme en Côte d'Ivoire, illustre ce point car l'effort s'inscrit dans la durée, le long-terme précisément. La riposte militaire a parallèlement augmenté les ventes d'armes aux pays de la région mais surtout développé leur militarisation et un florilège d'abus. Est-il aujourd'hui possible de disposer d'un bilan de l'option militaire dans cette lutte?

En conclusion, l'action doit être locale avant d'être régionale. En effet, en renforçant les mécanismes de lutte interne (frontières moins poreuses etc.) et en corrigeant les insuffisances au niveau local (pauvreté, analphabétisme, etc.), alors l'action conjuguée donc collective est possible car reposant sur des piliers nationaux forts (social, éducationnel, militaire, etc.). L'inverse (du régional au local) produit l'effet contraire en témoigne les difficultés rencontrées par la Force Conjointe du G5 Sahel. En outre, le risque d'implosion des Etats (Mali, Burkina Faso, etc.), donc leur effondrement, manifesté par leur morcellement entre milices paramilitaires et groupes terroristes islamistes, est à craindre si l'option politique du règlement des problématiques sécuritaires dans cette région n'est pas privilégiée.

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