Du contrôle démocratique des Armées africaines.
Les récents événements qui ont secoué le Burkina Faso, témoignent de la nécessité de repenser dans l'urgence, les dispositifs de contrôle démocratique des armées africaines. Comment se fait-il que chaque coup-d'état soit le fait de quelques soldats? Pourquoi les armées africaines sont-elles, à ce point fragiles et vulnérables à l’instrumentalisation politique? Comment une poignée de soldats, issus de forces d'élite, peut-elle paralyser en quelques heures tout un état? Existent-ils des mécanismes nationaux et régionaux permettant de détecter et de prévenir les risques de déstabilisation? Si oui alors, fonctionne-t-ils? Ce sont là, quelques interrogations qui nous interpellent eu égard aux différents coups-d'état ou tentatives de coups-d'état, observés sur le continent, ces deux décennies.
Il apparaît clairement, que le contrôle démocratique des forces chargées de la sécurité et de la défense dans les pays africains, n'est pas une priorité! Combien d'exemple de mécanismes civils pouvons-nous citer, qui ont pour vocation en dehors des parlements de ces pays, de se consacrer à la supervision démocratique desdites forces? Pratiquement aucun. Oui, le constat est alarmant, d'autant plus que plusieurs pays dont la Côte d'Ivoire, se sont engagés à mettre en oeuvre une stratégie de Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS). A titre de rappel, la réforme du secteur de la sécurité est une réforme multi-sectorielle et inclusive des systèmes de sécurité des états. Le Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE a proposé la définition suivante: "La réforme du secteur de la sécurité est la transformation du système de sécurité qui inclut tous les acteurs, leurs rôles, leurs responsabilités et leurs actions afin qu’ils travaillent ensemble pour gérer et opérer le système d’une façon plus compatible avec les normes démocratiques et les principes sains de bonne gouvernance et ainsi contribuent à établir un cadre sécuritaire fonctionnant correctement."
Il ressort de cette définition, que la réforme est exhaustive et complexe à mettre en oeuvre, surtout dans des contextes "post-crise". Il faut donc souligner, que la RSS compte également parmi d'autres secteurs, celui du contrôle démocratique ou supervision démocratique. Ce contrôle démocratique des forces de sécurité et de défense, se matérialise par la surveillance desdits acteurs, par un ensemble de mécanismes internes ou externes, pour veiller à leur conformité aux exigences de bonne gouvernance, d'état de droit et de transparence.
Tout ceci, pour souligner, la subordination des forces armées et de sécurité à l'autorité politique démocratiquement élue et par extension à l'intérêt public et aux principes de démocratie.
Il est crucial de rappeler également, que le contrôle démocratique des forces de sécurité et de défense, s'applique de façon naturelle et systématique en dehors d'un contexte post-crise. Il s'agit donc d'un contrôle de tout temps pour toute démocratie! La supervision des activités militaires et de sécurité, est un élément indispensable d'un gouvernement démocratique. Les acteurs du contrôle, instruments ou organes de contrôles sont en général, les parlements (commission défense et sécurité), les tribunaux militaires, les inspections des armées, les codes d’éthique et de déontologie, la société civile, les médias, les ONG, etc. Le contrôle civil du pouvoir militaire, est une condition sine qua non de la démocratie. L’exemple du Burkina Faso est édifiant, étant donné que le gouvernement de transition, avait décidé à travers l'Assemblée Nationale, de dissoudre le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) avant le coup-d'état du 16 septembre 2015. Il y a donc eu, un réel exercice du contrôle citoyen ou civil sur un régiment de l'armée du Burkina. C'est ce contrôle qui a permis, de conclure de la nécessité de dissolution dudit régiment. Le coup militaire réalisé par le RSP, a traduit son refus de se soumettre à l'autorité politique. Sa dissolution était donc inéluctable et finalement justifiée, eu égard aux événements qui se sont déroulés jusqu'au 29 septembre dernier.
En Côte d'Ivoire, le contrôle démocratique s'exerce mais uniquement sur certains domaines notamment sur la politique et les lois régissant les armées. L'Assemblée Nationale ivoirienne s'est penchée sur plusieurs textes notamment celui relatif à l'organisation des armées. L'on peut regretter que les questions budgétaires liées aux affaires militaires, ne fassent pas l'objet d'un véritable contrôle démocratique. Pire encore, que les unités d'élite dont font partie les forces spéciales, jouissent d'un statut spécial, ne permettant aucun contrôle démocratique. D'ailleurs ce sont souvent les forces d'élite qui sont impliquées dans les coups de force militaire.
Nous pouvons donc, à la lumière de ce qui précède, proposer un ensemble de mesures visant à consolider le contrôle démocratique des forces de sécurité et de défense dans les pays africains: 1/ Procéder à un audit ou état des lieux exhaustif des organes de contrôle démocratique des affaires militaires; 2/ Élaborer et mettre en oeuvre un plan national du contrôle démocratique des forces de sécurité et de défense; 3/ Renforcer les pouvoirs des parlements en matière de contrôle démocratique des armées et forces de sécurité; 4/ Légiférer sur le contrôle démocratique des armées, en accentuant la nécessité de rendre compte et de transparence; 5/ Encourager le débat citoyen sur les forces de sécurité et de défense à travers les médias; 6/ Organiser des audits réguliers et indépendants des forces de sécurité et de défense; 7/ Renforcer les capacités des armées en matière de contrôle démocratique par la formation des soldats. 8/ Sensibiliser tous les organes du contrôle démocratique des affaires militaires quant à leur rôle de garant du respect des normes démocratiques.
En conclusion, nous rappelons que le militaire est au service de la nation. Le militaire est subordonné à l’autorité politique. Le renforcement des organes chargés du contrôle démocratique ou leur création, permettrait de superviser davantage les affaires militaires et d'anticiper d'éventuels actes déstabilisateurs à l'image des coups-d'état. Malheureusement, plusieurs pays africains disposent de mécanismes de contrôle démocratique des forces de sécurité et de défense, mais ces-derniers n'exercent pas leur devoir de contrôle!