De la percée terroriste

Publié le par Jean-François CURTIS

Chers lecteurs c'est un grand plaisir pour moi de vous retrouver après plusieurs mois sans publications de ma part. Mes responsabilités professionnelles ont eu ces derniers mois, raison de mon engagement citoyen à travers mon blog de réflexion stratégique. Je vous rassure c'est le passé.

D'ailleurs je vous retrouve ce mois-ci avec une illustration de conflit médiéval qui est à juste propos révélatrice du sujet que je souhaite aborder avec vous à savoir: "la percée terroriste en Afrique de l'Ouest". Avant tout propos,  je salue la mémoire de tous nos braves soldats tombés dans le cadre de cette lutte antiterroriste ainsi que celle des victimes civiles. Je suis d'avis avec vous qu'il faille éviter de couvrir des aspects déjà analysés à maintes reprises et c'est en cela que cette illustration annonce l'approche analytique et non journalistique de mon article. Une approche basée sur l'examen de la stratégie exécutée de façon générale, par les groupes terroristes pour conquérir des territoires au sein de nos états fragiles!

La notion de percée militaire a toujours existé, qu'il s'agisse des temps médiévaux (illustration) ou des temps modernes, le principe demeure. La percée des lignes ennemies détermine le succès d'une guerre par l'ouverture d'une brèche. Les exploits des groupes terroristes dans la conduite de la percée des positions militaires des pays africains témoignent d'un "Art de la guerre asymétrique" chez les jihadistes! Comment expliquer le maintien de positions acquises et l'influence (la terreur) sur des villages entiers par ces groupes, à l'instar du Burkina Faso? Comment expliquer leurs capacités de mobilité foudroyante et leur maitrise de la guerre d'usure au Mali par exemple?

Pour répondre à ces questions, il est essentiel de comprendre les objectifs des groupes terroristes à chacune de leurs actions de terreur. Les récents évènements en Côte d'ivoire qui ont vu plusieurs incursions et attaques contre des positions militaires ainsi que l'apparition d'engins explosifs improvisés (EEI), attestent de ces objectifs clairs de déstabilisation et de conquête vers le sud pour un accès aux ports. Sans faire l'apologie de ces groupes, voici selon moi leurs objectifs récurrents ou classiques :

1/ Evaluer la résilience des populations : Cet objectif premier consiste à établir le contact avec les populations aux frontières, dans des villages bien souvent "oubliés dans le processus de développement". Contact matérialisé par des actions à l'endroit des populations notamment la création de puits, d'écoles ou encore de mosquées. Souvent des dons sont réalisés par des pseudo ONG pour gagner l'intérêt desdites populations afin de préparer le terrain de l'influence idéologique. Répondre aux besoins des populations qui se considèrent comme oubliées par leurs états, représente le fer de lance de la percée de nos frontières. Lorsque les populations de villages frontaliers deviennent réceptives (favorables) aux actions des groupes jihadistes alors, la percée débute avec cette brèche ouverte!

2/ Evaluer le dispositif de défense nationale : Ce deuxième objectif prend toute sa place, lorsque le premier qui est plus insidieux à échouer ou encore lorsqu'il est prometteur. En effet, le test des capacités de réponse de nos forces armées est un élément crucial de la percée. Dans tous les exemples de combats ou d'incursions de convois de jihadistes, le message véhiculé est sans ambiguïté: "nous sommes là, chez vous, sous votre nez". La perméabilité des frontières est largement exacerbée avec cette guerre d'usure et d'influence, qui se nourrit des faiblesses de nos états dont leurs limites militaires.  Il est vrai que nous ne sommes pas dans une guerre classique mais face au terrorisme, la clé de voute demeure le renseignement militaire. "Etablir la terreur dans les lignes de nos armées puis créer un vent de panique puis la déroute", voilà le but ultime de cette évaluation du dispositif de défense. Les attaques répétées de positions militaires avec leurs lots de victimes, permettent aux jihadistes de tester nos forces armées et ainsi d'évaluer leurs capacités de riposte mais c'est aussi un vecteur de communication. Cette "provocation armée" affiche clairement l'audace de ces groupes, et leur détermination.

3/ Faire naitre la contestation et le doute : Une fois la brèche créée aux frontières par l'acceptation implicite de certaines populations à l'endroit des groupes jihadistes infiltrés, alors la manipulation des esprits démarre avec pour objectif final la contestation par ces mêmes populations, de l'autorité de l'Etat dans leurs régions. Ceci permet de réitérer l'impérieuse nécessité pour les Etats de donner de véritables alternatives de développement à leurs populations isolées dans des villages aux frontières des pays à risque. La réponse majeure demeure la prise en main des zones "oubliées" où le développement semble s'être arrêté. Ainsi, une fois le doute installée dans l'esprit des populations, la contestation naît, évolue en sympathie pour les jihadistes et l'apparition de zones "grises" devient un fait. Des régions se transforment alors en zones incontrôlées et incontrôlables, qui échappent totalement ou partiellement à l'exercice de l'autorité de l'Etat. La brèche est alors créée et le processus de morcellement du territoire est enclenché.

4/ Rompre ou pénétrer les "défenses ennemies" : Une fois le processus de morcellement du territoire engagé, alors les positions militaires sur l'ensemble du territoire sont fragilisées du fait de la résignation de certaines populations ou leur allégeance aux jihadistes. Les groupes terroristes multiplient les attaques dans ces zones incontrôlables, multiplient le harcèlement des populations résilientes et créent des couloirs pour la poursuite de leur conquête vers de nouvelles régions. L'affaiblissement du dispositif militaire impacte défavorablement le pouvoir exécutif de ces états, la conquête militaire des jihadistes est alors en marche. Il apparaît évident que la réponse à cette tentative de percée militaire est une meilleure couverture du territoire par les forces de défense et de sécurité. Une présence même dans les hameaux les plus éloignés est nécessaire et suffisamment dissuasive. En outre, la mobilité des forces et une capacité de réarticulation et de reconstruction des dispositifs éprouvés s'avère primordial. L'impact psychologique de la percée terroriste n'est pas à négliger, la guerre se gagne d'abord dans les esprits.

Pour conclure, vous constatez avec moi que la percée jihadiste est à la fois médiatique, psychologique, économique et militaire. Sans préjuger d'avoir couvert tous les objectifs des groupes terroristes ainsi que les dimensions de cette lutte infernale, j'espère que cette analyse vous aura permis en tout cas à certains, de mieux appréhender la problématique de la lutte contre le terrorisme en Afrique de l'ouest.

 

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