Afrique: de l'enlisement des conflits!
Le Monde Afrique a consacré le 30 janvier 2019, un interview sur les causes de l'enlisement des conflits en Afrique. Alexandre Liebeskind, du Centre pour le Dialogue Humanitaire, interviewé a notamment suggéré de mettre fin aux systèmes de gouvernance hérités de la tradition des Etats-nations européens pour donner plus de chance à la paix, en se focalisant sur les communautés. Cette louable proposition déjà prise en compte dans la résolution des conflits et crises diverses, a malheuresement montré ses limites car elle ne constitue pas un gage de réussite des accords de paix. L'exemple de bien des pays ayant traversé des crises majeures politico-militaires, à l'instar de la Côte d'Ivoire, en sont l'illustration. Au Mali, les communautés sont largement impliquées dans la sortie de crise, cela n'est malheuresement pas suffisant.
Le constat que je fais, de mon expérience en Côte d'Ivoire, après avoir été au cœur d'un processus de sortie de crise (2003-2010) puis post-crise (2011-à ce jour), est que la complexité de la résolution durable des conflits passe par la prise en compte de schémas multifacettes, proposant diverses options de sortie de crise suffisamment inclusives, réalistes et participatives. La Côte d'Ivoire est un exemple de pays parti de 07 accords de paix (2002-2007: Linas-Marcoussis, Accra, Pretoria, Ouagadougou), pour passer par des élections déterminantes (2010), considérées comme l'aboutissement du processus de sortie de crise pour enfin, rentrer dans une phase de reconstruction post-crise après les violents événements de 2011. Le bilan de toutes ces années, se résume dans le regain de violence politique qui anime le pays depuis quelques mois, avec les dissensions entre les partis politiques et le langage guerrier émanant des acteurs de la scène politique ivoirienne. La reconstruction post-crise en Côte d'Ivoire, affiche ainsi un bilan mitigé (positif du point de vue financier et économique mais discutable sur d'autres aspects, en particulier la réconciliation), qui se traduit par l'enlisement actuel des tensions politiques, qui si on n'y prend garde, pourraient dégénérer en conflit communautaire ou entre partisans des partis politiques et cela avant les élections présidentielles de 2020.
En outre, les pays en situation de conflit, font face à des problématiques souvent identiques. Cependant, le conflit au Mali a ses causes, idem pour les autres pays, il existe donc des spécificités à chaque conflit. La prudence dans l’analyse est donc de fait et j'identifie ci-dessous, sur la base de mon expérience et de l'observation du phénomène, quelques éléments de réponse à cet enlisement des conflits mais aussi à leur reprise après des années de stabilité :
1/ l’insuffisant engagement politique des belligérants pour une sortie de crise sincère. Trop souvent, le manque d’appropriation des feuilles de route issues d’accords de paix et leur non-respect, détruisent tous les efforts entrepris, du fait d’agendas secrets et de non-dits. Les 07 accords de paix signés en Côte d'Ivoire, entre 2002 et 2007 en sont l'illustration ;
2/ l’inappropriée immixtion de puissances étrangères ou de pays africains aux intérêts divergents, affecte les processus de paix. En effet, l'engagement français en Côte d'Ivoire durant plusieurs années, a été entaché de crises de confiance émanant des belligérants et même de violence armée causant des pertes et ainsi crispant le processus de paix ;
3/ l’inadaptée réponse aux conflits (trop souvent militaire), impacte considérablement la sortie de crise car leurs fondements sont multiformes et complexes. Sur ce point l'insuffisante prise en compte des dimensions sociales, religieuses et culturelles des conflits favorise leur enlisement ;
4/ l’échec des processus de Désarmement, de Démobilisation et de Réintégration (DDR), difficilement mis en oeuvre dans des contextes de crise de confiance ;
5/ les insuffisances (notamment dans le suivi/évaluation) des Réformes du Secteur de la Sécurité (RSS) engagés dans des contextes post-crise, favorisent la reprise des hostilités ou des tensions qui elles-mêmes finissent par s'enliser ;
6/ les fragiles programmes de reconstruction post crise, biaisés dans leur élaboration (trop souvent axés sur les aspects économiques et insuffisamment sur les aspects de réconciliation) ;
7/ l’impossible introspection des "chefs de guerre" nécessaire à la paix. En effet, vouloir la paix appelle un fort degré d'humilité et de résilience, pour garantir une sincérité dans l'application des accords de paix ;
8/ l'absence ou l'insuffisance de neutralité des pays médiateurs dans ces conflits, constituent un frein à l'aboutissement de la paix ;
9/ l'impossible ou difficile construction de la confiance entre les belligérants.