Quelle Afrique en 2019?

Publié le par Jean-François CURTIS

2018 s'achève dans quelques heures pour laisser place à 2019. Que nous réserve cette nouvelle année? A quoi ressemblera le continent africain? Quels seront les enjeux capitaux qui façonneront l'évolution de l'Afrique? Sans faire de rétrospective majeure, il nous semble que 2018 aura été marquée essentiellement par une mutation du continent africain, basée sur un jeu d'influence des puissances mondiales face aux opportunités tant économiques que géostratégiques. Une prise de conscience africaine semble avoir émergé et s'est confirmée en 2018, avec une prise en main plus solide des affaires africaines par les africains eux-mêmes. Les questions sécuritaires n'auront jamais été aussi présentes avec ce terrorisme ambiant, qui poursuit son expansion et s'intensifie. La question de la gouvernance des armées africaines n'a pas été très abordée, elle reste tabou en quelque sorte.  Le développement humain peine toujours à se réaliser et à demeurer au cœur des politiques des états africains, en dépit de quelques efforts ici et là. Idem pour la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption, qui restent à parfaire. La reconstruction post-crise d'états ayant subi des crises politico-militaires doit s'améliorer dans bien des pays qui se sont focalisés sur l'aspect économique et financier de ladite reconstruction. La notion de "risque-pays" aura fait son chemin à travers la notation stratégique pour devenir incontournable dans la bonne gouvernance des états et pour leur crédibilité. La militarisation des pays du continent s'est accentuée en 2018, souvent justifiée par la lutte contre le terrorisme. Enfin, l'autonomie dans le domaine de la réflexion stratégique s'est accrue avec les années pour responsabiliser davantage les africains quant au devenir de leurs pays.

Nous avons durant l'année 2018, à travers 12 articles, couvert les enjeux stratégiques du continent en essayant d'y apporter une analyse objective, concise et construite pour demeurer crédible auprès de nos fidèles lecteurs. Ainsi, l'année à venir ne verra pas de grands bouleversements géostratégiques mais subira son lot de conflits et de tensions suffisamment marqués, pour influer le cours des relations internationales et des affaires africaines. Nous observons donc les tendances suivantes: 

  • Au niveau de la maturité citoyenne et de la maturité politique, les pays africains peinent à développer ces aspects qui conditionnent pourtant leur développement. En effet, les crises électorales et post-électorales témoignent de cette immaturité politico-citoyenne, qui engendrent des tensions et conflits trop souvent violents. Le citoyen africain doit grandir dans sa conception d'acteur du développement et embrasser sa responsabilité, en refusant toutes formes de manipulations politiciennes. De son côté, le politique doit gagner en maturité politique en évitant d'instrumentaliser les populations et en acceptant l'issue des urnes. D'ailleurs, les récentes violences post-électorales en Côte d'Ivoire reflètent cet état de fait. La maturité politico-citoyenne demeure donc un enjeu majeur de 2019, qui déterminera l'issue des prochains scrutins présidentiels au Nigeria, au Sénégal, en Algérie, au Malawi et au Mozambique. Un corollaire à cette question de la maturité politique, est une meilleure gouvernance de nos états et une juste redistribution des richesses qui devront impérativement se faire pour une stabilité desdits états. A ce sujet, nos états devront reposer davantage sur la notation stratégique pour mesurer leurs performances et ainsi les améliorer.
  • Au niveau de l'accroissement de l'assistance technique et financière aux états africains, 2019 devra marquer le début d'un ralentissement douloureux mais nécessaire de cette assistance, pour favoriser une responsabilité africaine dans la gestion des problématiques du continent. En effet, il devient plus qu'urgent que les états africains se mobilisent pour s'éloigner de façon graduelle de l'assistance des états nantis, qui en réalité constitue dans la durée une dépendance irréversible car "addictive". Comment comprendre que nous en soyons encore là en 2019, avec des orientations permanentes des bailleurs et partenaires techniques et financiers sur les politiques et stratégies élaborées en Afrique? La prise en compte de ces orientations conditionnant officieusement le déblocage de fonds ou d'aides additionnels. Cette assistance permanente est bien entendue, le fruit de politiques publiques souffrant trop souvent d'une mauvaise allocation des ressources des états. Ainsi, les gouvernements africains devront engager des allocations financières cohérentes basées sur un équilibre des budgets et aussi apprendre à faire confiance aux ressources humaines nationales et de la diaspora. De cet équilibre émergera sans doute un ralentissement de la politique de la "main tendue en Afrique et de l'assistance technique".
  • Relativement à la dynamique sécuritaire, nous insistons sur la juste nécessité de voir naitre une autonomisation des armées africaines, qui reposent de moins en moins sur l'assistance militaire technique mais plutôt, sur l'essor d'une industrie militaire africaine à partir de "champions" tel que l'Egypte et l'Afrique du Sud. L'Afrique regorge d'expertises militaires acquises sur le théâtre des opérations et qui gagneraient à être partagées davantage entre africains. Le développement d'une industrie de défense africaine est possible, à travers la mutualisation des moyens nécessaires à cette fin. D'ailleurs, cela pourrait se faire à un niveau sous-régional (CEN-SAD, CEDEAO, etc.) avant d'être régional. L'autonomisation des armées africaines est un gage de sécurité et de crédibilité pour l'avenir et s'appuiera sur des partenariats militaires plus cohérents, équilibrés et respectueux. En outre, est-il essentiel d'envisager en 2019, l'essor du contrôle démocratique des armées pour garantir une transparence et une intégrité de l'institution militaire. Ainsi, les assemblées nationales devront être plus actives et engager des plaidoyers offensifs pour mieux surveiller les actions de l'institution militaire, mais surtout veiller au respect des normes de bonne gouvernance et ainsi contribuer à la quiétude des populations. Aussi, est-il critique que les pays africains renforcent leurs dispositifs d'alerte précoce et créent une "table ronde des bailleurs africains sur la sécurité et la paix", pour financer les opérations de maintien de la paix, la prévention de crise et la lutte antiterroriste.  Enfin, la lutte contre le terrorisme qui s'éternise du fait du caractère insidieux de la menace, devra connaître un tournant majeur, avec l'opérationnalisation effective des forces du G5 Sahel ainsi que l'émergence de politiques adéquates et de budgets conséquents. L'expansion des groupes terroristes dans la zone du Burkina Faso, devra constituer une priorité en termes de surveillance et de veille. L'opérationnalisation du Centre International de Lutte contre le Terrorisme en Côte d'Ivoire, doit se faire dans les meilleurs délais car le pays est  exposé comme jamais, par cette annonce qui sonne comme une défiance. 
  • Concernant la redistribution de cartes en Afrique en matière de sécurité, 2018 aura vu la guerre d'influence des puissances se concrétiser entre la Russie, la France, les Etats-Unis et la Chine pour ne citer que les principales puissances à la manœuvre. Les convoitises des ressources africaines sont donc réelles et plus que jamais nécessitent en 2019, une réponse africaine consensuelle, adaptée et efficace qui ne peut se faire qu'au niveau régional à travers des cercles de réflexion tels que le "Forum de Tana". L'unité des états africains sur ce sujet, est un gage de la mise en oeuvre d'une riposte adéquate pour freiner l'expansionnisme presque de fait et une mainmise avérée sur les richesses du continent. Les africains doivent de façon réaliste, prendre conscience de ce qui se passe sur leur continent et construire leur propre développement avec leurs propres ressources (humaines et financières), qui on l'a compris sont nombreuses.

Pour conclure, nous vous avons fait part de quelques enjeux qui nous semblent importants à prendre en compte en 2019. Cette liste n'est pas exhaustive, mais elle reflète le niveau d'urgence des sujets et leur possible impact sur la stabilité du continent, si nos états choisissent l'inertie pour réponse aux problématiques soulevées. 2019 reflétera la prise en compte ou non de ces enjeux. 

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