Afrique: Osons le changement

Publié le par Jean-François CURTIS

« Vous ne pouvez pas accomplir des changements fondamentaux sans une certaine dose de folie. Dans ce cas précis, cela vient de l’anticonformisme, du courage de tourner le dos aux vieilles formules, du courage d’inventer le futur. Il a fallu les fous d’hier pour que nous soyons capables d’agir avec une extrême clarté aujourd’hui. Je veux être un de ces fous. Nous devons inventer le futur. », ces mots de Thomas Sankara, nous interpellent encore au 21ème siècle, tant ils sont d’actualité.

Le florilège de quelques panafricanistes qui illustre notre article, reflète de façon non exhaustive, la diversité des défenseurs de « l’autonomie africaine dans toutes ses composantes », qu’il s’agisse de chefs d’Etat, de penseurs, de prospectivistes, d’entrepreneurs, de scientifiques, de docteurs et bien d’autres. Les femmes ne sont pas en reste, elles marquent toujours l’évolution de notre continent et nous y consacrerons un article exclusif, particulièrement basé sur la lutte contre la colonisation et l’émancipation de la femme africaine en général.

Le panafricanisme fait parler de lui depuis plusieurs mois, notamment avec le débat sur la « pertinence du franc CFA » qui affiche autant d’opposants que de défenseurs. Bien d’autres thématiques secouent les pensées notamment, la question de l’influence des puissances étrangères sur la conduite des affaires africaines ou encore l’interminable assistanat technique et financier dans lequel, plusieurs états sont embourbés. Plus récent encore, la lutte contre le terrorisme qui apparait pour certains observateurs, comme un prétexte pour perpétuer des liens de subordination, en particulier d’un point de vue financier et militaire.

Nous n’avons pas la prétention de couvrir toute la thématique du panafricanisme ou d’en faire l’historique car il a été largement étudié. En revanche, il nous semble essentiel de veiller à ce que sa mémoire soit protégée et perpétuée et ce, au-delà des clivages et opinions qui en résultent. Nous le devons bien aux générations à venir.

Accepter ou comprendre le panafricanisme, c’est partir de l’assertion suivante : « le développement de l’Afrique, par des Africains, pour des Africains et avec des Africains ». Cette hypothèse ou perception du panafricanisme moderne appelle plusieurs réflexions, dont celle intimement liée à l’influence des puissances étrangères sur le destin des états africains. Qu’on le veuille ou non, que l’on fasse preuve d’honnêteté intellectuelle ou de négation de faits historiques, l’irréfutable est là, palpable et tenace : L’Afrique (ou une partie) est soumise, dominée, malgré toutes les luttes, les tentatives d’indépendance de la pensée et les faits d’armes visant à faire émerger un esprit décomplexé chez les filles et fils de ce continent. Le néocolonialisme ou encore colonialisme moderne, favorisant la dépendance économique et financière des Etats africains vis-à-vis de puissances étrangères, perdure dans son émancipation et s’adapte. Soucieux de n’offenser personne, nous citerons des exemples concrets qui illustrent notre pensée et les faits constatés par nous tous.

La sphère de la réflexion stratégique en est une illustration, « l’amputation » d’une partie de l’histoire des africains en vue de faire régner une dépendance réflexive marque l’avènement du complexe d’infériorité de certains africains vis-à-vis de tout ce qui vient de l’étranger, en particulier de l’occident. Combien de frères africains, soucieux de leurs carrières internationales ont fait le choix de la politique de l’autruche face à des cas avérés de néocolonialisme ? Combien font le choix d’être aveugles ou alors permissifs, pour ne pas dire complaisants voir complices quelque part de systèmes en place ? Complices de l’asservissement mental, qui consiste à faire croire aux africains qu’à eux tous seuls, ils n’y arriveront jamais, car incapables de déployer toutes les ressources mêmes intellectuelles, pour aspirer à un développement digne de ce nom, décolonisé, décomplexé, simplement à leur image.

« En outre, les processus de racialisation, amorcés sous le joug colonial dans les anciennes colonies, ont perduré après les indépendances du fait du non démantèlement des dispositifs et structures de domination blanche », engendrant ainsi ce fameux « complexe vis-à-vis du blanc ». En effet, de nombreux africains, issus d’une génération de l’ère colonial et post-colonial, demeurent complexés et convaincus que si « un blanc n’est pas intégré à un dispositif réflexif ou autre » alors impossible d’aboutir à des résultats cohérents et crédibles. C’est cet état d’esprit, cette colonisation de l’esprit, qui prévaut encore aujourd’hui et occasionne la prolifération de l’assistance technique et financière. De quelle assistance technique et financière avons nous besoin aujourd'hui? Quels sont ces domaines qui justifient une assistance technique et financière que nous africains ne pouvons satisfaire? Quelles sont ces ressources humaines et naturelles dont nous ne disposons pas pour nous développer? 

Comment comprendre qu’au 21ème siècle, nos pays africains affichent autant de coopérants techniques qu’au lendemain des indépendances ? Soyons cohérents ! Nous devons en tant qu’africains, nous prendre en main et valoriser nos compétences nationales. Pourquoi ne pas promouvoir l'assistance technique entre pays africains? Nous sommes les premiers responsables de la perpétuation du rapport de subordination de l’africain vis-à-vis du « blanc ». Nous entretenons un système et le dénonçons lorsque nous sommes exaspérés. Pour combien de temps encore cette complaisance, cette complicité, cette hypocrisie ? Nous sommes en partie victimes mais surtout responsables. La victimisation n’est pas notre point de vue, la responsabilisation l’est.

Aussi, est-il irréfutable que les pays africains anglophones se sont largement décomplexés, des liens historiques qui les unissaient à leurs anciens colonisateurs. Leurs choix braves, d’autonomie assumés très tôt après les indépendances leur ont permis de véritablement s’émanciper et gagner en liberté de choix et d’actions. Ils sont connus et émergent avec certitude, ce sont notamment, le Ghana, le Nigeria et le Kenya.

La condescendance avec laquelle l’occident traite parfois l’Afrique est insoutenable dans bien des cas. Rappelons qu’il y a une Afrique et des africains. Il n’y a pas des Afriques ! Comment serait-ce possible ? La pluralité culturelle et ethnique est intrinsèque au continent et le caractérise, comme il y a une Europe, une Asie, etc. Rien que des terminologies toutes faites à caractère passéistes du genre : « France-Afrique » témoigne de cette condescendance. Des rencontres internationales et sommets « France-Afrique », etc. affaiblissent le rayonnement du continent et conforte les pays organisateurs dans leur pseudo supériorité. Ce qui serait juste et respectueux serait par exemple, « sommet Europe-Afrique ».

Un article publié ce mois-ci sur le site « lopinion.fr » faisait état du recul de l’influence française en Afrique, avec une montée en puissance de la Chine, de l’Allemagne et de la Russie. Cet article tentait d’expliquer ce désamour ou cette lassitude dans les rapports afro-français ? Une tentative d’analyse axée sur des questions d’investissements, économiques et financières mais pas sur l’essentiel selon nous, à savoir l’empreinte paternaliste et dirigiste laissée depuis des décennies sur ce continent qui ternit l'image de la France. Oui, l’influence française recule mais principalement du fait d’un rejet de cette influence sur la politique des états où elle est active. Le salut de la France réside dans la distance qu’elle mettra désormais entre elle-même et ces pays africains d’un point de vue de la conduite de leurs affaires internes. C’est à ce prix qu’elle rayonnera éventuellement à nouveau et passera devant la Chine et bien d’autres.

Enfin, un autre article celui-ci publié sur le site « RFI.fr », le 29 mars 2019, soulignait le retard accusé dans les décaissements promis notamment par l’UE à l’endroit de la force conjointe antiterroriste du G5 Sahel. Cet article relayait le fait que « le commandement de la force attend des moyens qui tardent à venir ».  La création de cette force africaine illustre nos propos précédents sur le maintien du lien de dépendance vis-à-vis de l’extérieur, lien qui inscrit l’émancipation africaine dans une dynamique attentiste. Nous pensons qu'une fois de plus, ce constat est simplement consternant. En attendre des autres, lorsque l'on sait que si les pays membres du G5 décidaient sérieusement d'allouer les ressources suffisantes à l'opérationnalisation de leur force, alors nous n’en serions pas là. Nous réitérons la nécessaire appropriation par des africains, des problématiques et enjeux qui concernent en premier lieu le continent. Tant que cette prise en main, cette autonomie, cette indépendance décomplexée, ne se mettra pas en marche alors l'assistanat technique et financier perdura bien au-delà de générations de jeunes africains qui souhaitent cette responsabilisation de nos politiques. Pourquoi toujours tendre la main lorsque l'on est responsable de notre dépendance infantilisante ? Arrêtons d'attendre des choses qui tardent à venir, créons les tout simplement, brisons les chaines (psychologiques ou autres) qui nous asservissent, donnons-nous les moyens de nos politiques pour une Afrique responsable et autonome.

 

 

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