Terrorisme en Afrique: quelques pistes de réflexion

Forces Spéciales ivoiriennes célébration 58eme fête de l'Indépendance 2018
Difficile d'aborder le sujet du terrorisme en Afrique tant la problématique est d'actualité et ne semble pouvoir se résoudre. Toutes les tentatives de rationalisation du phénomène se heurtent à des limites tant stratégiques qu'opérationnelles, du fait de son caractère mouvant et insidieux. Comment réduire le terrorisme sur le continent à des définitions classiques et entendues de tous? Les années de conflictualités permanentes, d'attentats dévastateurs et de ripostes musclées (ripostes étatiques et collectives) avec leurs lourds bilans aussi bien humains qu'économiques ou politiques, ne semblent user le phénomène et ainsi le réduire à sa plus simple expression, à défaut de l'éradiquer. Le Général Lecointre annonçait le 06 septembre 2018, dans un article intitulé : "Daech rayé de la carte avant la fin de l'année", publié par "Valeurs Actuelles", la fin du groupe terroriste. Quel optimisme! Cette prédiction ou annonce, vient nous conforter dans la nécessité d'une lecture prudente, mesurée et humble de l'évolution du phénomène dans sa généralité, mais surtout dans ses spécificités régionales. D'ailleurs, ne l'oublions pas, lutter contre les groupes terroristes s'inscrit dans une logique d'attrition et d'usure où la lutte armée coexiste avec la lutte psychologique, idéologique, informationnelle et d'influence. Cette lutte consiste avant tout, à combattre un état d'esprit (radicalisme et idéologie) puis une force armée (guerilla plus ou moins structurée).
En ce qui concerne l'Afrique, nous avons consacré plusieurs articles aux groupes qui sévissent dans la région ainsi qu'aux attentats qu'ils ont perpétrés. L'Indice Global du Terrorisme (Global Terrorism Index 2017) publié par L'Institut pour l'Economie et la Paix (IEP), résume l'état des lieux de la lutte contre le terrorisme comme suit: A/ Le mode opératoire le plus prisé pour conduire des attaques demeure "l'assaut armé" et ensuite les attentats à la bombe. B/ Boko Haram et Al Shebaab sont les groupes les plus meurtriers de la région. De plus, une étude américaine réalisée par l'Université du Maryland en 2018, nous révèle que le Moyen Orient et l'Afrique du Nord (3780 attaques pour 10819 décès) sont les zones les plus affectées par le terrorisme en 2017. Ensuite vient l'Asie du Sud (3430 attaques pour 7664 décès) puis l'Afrique Subsaharienne (1970 attaques pour 6712 décès) en troisième position. En outre, la situation sécuritaire en Afrique de l'ouest se dégrade, avec la montée en puissance de groupes terroristes qui mutualisent leurs moyens, pour déstabiliser davantage la région notamment le Burkina Faso qui subit régulièrement des assauts armés, contre ses forces et population à l'est. Ce nouveau foyer terroriste qui nait dans l'est du pays, vient renforcer l'action du GSIM (Groupe pour le Soutien de l'Islam et des Musulmans) déjà actif dans cette région. En dépit d'une baisse du nombre de victimes et d'attaques dans le monde depuis 2016 (due au recul de Daech), il n'empêche que les groupes terroristes sur le continent africain, restent très actifs et poursuivent ici et là des incursions armées pour instaurer un climat permanent de terreur, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad, la Somalie et le Nigeria n'y échappent pas. Ainsi, la menace reste élevée face à la prolifération de groupes terroristes en Afrique utilisant des modes opératoires évolutifs, sophistiqués et très meurtriers. L'évolution du terrorisme depuis son escalade en 2002, nous permet à partir de plusieurs axes d'analyses, d'examiner l'ensemble de ses facettes à prendre en compte pour une lutte antiterroriste efficace :
1/ L'axe politique: Il apparait plus qu'indispensable, que des pays comme le Mali retrouve leur unité pour déjouer l'expansion terroriste. En effet, la non résolution politique de la crise malienne (crise séparatiste), favorise les incursions et les zones de non-droit, qui servent de "nids" aux terroristes pour frapper les pays aux alentours. Aussi, la maitrise des frontières et un meilleur maillage sécuritaire des territoires, deviennent plus que jamais une priorité pour les états africains.
2/ L'axe militaire: La lutte armée basée sur la coopération militaire, demeure l'une des réponses sur le court et le moyen terme, pour réduire la capacité de nuisance des groupes terroristes. Pour cela, il convient que les états renforcent leurs capacités, tant en renseignement que dans le domaine de la lutte contre terroriste. Aussi est-il indispensable, de mettre en oeuvre les initiatives collectives annoncées (création de l'Académie Internationale de lutte contre le terrorisme en Côte d'Ivoire et le Centre de Formation à la lutte contre terroriste en Egypte) et celles déjà avancées (le G5 Sahel) pour qu'elles puissent efficacement jouer leur rôle d'outils intégrés de lutte contre la terreur. Relativement à la situation au Mali les récentes attaques sur les forces onusiennes et françaises, témoignent de l'escalade de l'extrémisme violent. Pour ce qui relève de la guerre psychologique ou d'influence ou encore idéologique, l'outil militaire à lui seul ne suffit pas. Les dispositifs de sécurité intérieure doivent également être renforcés et soutenus par les Gouvernements.
3/ L'axe idéologique: La réussite sur le long terme de la lutte contre le terrorisme, repose sur une stratégie régionale, concertée et intégrée pour combattre l'aspect idéologique de la terreur. La prise en compte de cette dimension qui affecte l'état d'esprit des terroristes, est au cœur de la réflexion et nécessite des réponses idoines basées sur la déradicalisation des jeunes impliqués, sur la sensibilisation des cibles dites "vulnérables", sur la prévention qui permet très tôt d'identifier des victimes potentielles et des foyers à surveiller. Aussi, ne faut-il pas exclure l'asphyxie des réseaux terroristes, par le renseignement et la veille. L'éducation reste une "arme" sans égal, pour préparer les plus jeunes aux dangers que représente toute forme de radicalisme et ainsi les sensibiliser à ne pas y adhérer.
4/ L'axe financier: Le nerf de la guerre reste la ressource financière, qui doit impérativement être revue à la hausse tant à l'international qu'au niveau national. Les institutions régionales devraient activement, mettre en place des mécanismes de financement des opérations liées à la lutte antiterroriste. La lutte contre les sources de financement du terrorisme, doit être l'une des priorités absolues car permettant l'asphyxie des groupes. En outre, les états africains devraient augmenter leurs budgets consacrés à la lutte antiterroriste pour financer le renseignement, le renforcement des capacités opérationnelles et la formation. Cette augmentation des budgets militaires et de sécurité, doit se faire dans le cadre du contrôle démocratique exercé par l'assemblée nationale desdits pays. Ceci, pour ne pas plonger dans une militarisation des états.
5/ L'axe socio- économique: De ce point de vue, les populations restent les premières victimes des actes terroristes. L'impact social et économique se résume en un mot: "la terreur". Les populations habitant dans les zones délaissées par l'état du fait d'un maillage sécuritaire insuffisant, vivent dans une angoisse permanente. L'impact économique sur les pays reste maitrisé et les attentats ne semblent pas freiner les investissements, pour preuve le cas de la Côte d'Ivoire et du Burkina Faso. Cependant, il serait utile que des sondages et études soient réalisés, pour effectivement mesurer l'impact socio-économique du terrorisme dans les pays africains.
6/ L'axe participatif: Le caractère participatif et inclusif de la lutte contre le terrorisme est un préalable à sa réussite. Ainsi, la prise en compte de la société civile, des communautés et des ONG dans la formulation des politiques et stratégies de lutte antiterroriste, est fortement recommandé. Les pays qui l'ont bien compris, associent les communautés vivant aux frontières souvent victimes et observatrices des incursions de groupes armés. Ces populations devraient d'ailleurs intégrer les dispositifs de veille et d'alerte précoce.
7/ L'axe religieux: L'implication des communautés religieuses dans le processus d'éducation, de sensibilisation et de prévention des populations, s'avère primordial pour contrecarrer l'expansion de l'idéologie terroriste sous toutes ses formes. Les politiques et stratégies de lutte contre le terrorisme devraient contenir tout un chapitre consacré au rôle de la religion dans cette lutte.
8/ L'axe législatif: L'arsenal juridique définit le cadre d'action des forces impliquées dans la lutte contre le terrorisme. Ainsi, il ressort qu'au moins 15 pays d'Afrique disposent d'un arsenal législatif dédié à cette problématique, à l'instar de la Côte d'Ivoire, de l'Egypte, du Kenya et du Niger. Cependant, les lois antiterroristes ne doivent en aucun cas être des prétextes pour des abus divers et restreindre les libertés publiques et les droits de l'Homme.
Enfin et pour conclure, nous recommandons fortement que soit introduit un indice national ou régional de lutte contre le terrorisme permettant de noter les pays d'Afrique subissant des actes terroristes. Cet indice annuel, pourrait être calculé sur la base des huit indicateurs susmentionnés (8 axes) qui mesureraient les performances des états à faire face au terrorisme.