Sécurité en Afrique: perspectives 2016!
L'année écoulée, a eu son lot de crises et de victimes sur le continent africain. Le bilan de l'année 2015 en matière de sécurité est donc assez mitigé. Si l'on se fie à l'Indice de Paix Mondiale 2015, publié par l'Institute for Economics and Peace, les questions de sécurité ont globalement stagné d'un point de vue de leur intensité. Selon l'indice, l'on compte parmi les pays les plus stables d'un point de vue de la sécurité: le Ghana, le Botswana, le Malawi, la Sierra Leone, le Sénégal, la Tanzanie et le Gabon. Il est à noter, que deux pays ont démontré une nette amélioration de leur niveau de sécurité, à savoir: la Côte d'Ivoire et la Guinée-Bissau. En revanche, l'on compte parmi les mauvais élèves: le Sud Soudan, la RCA, la Somalie, la RDC, le Nigeria, le Tchad, le Cameroun, le Mali, l'Afrique du Sud et le Burundi.
Plusieurs facteurs permettent d'évaluer le niveau de sécurité sur le continent. Les menaces sont multiples et frappent les pays africains de façon diverse et avec une intensité relative. Le terrorisme demeure la menace majeure qui affecte des pays comme le Cameroun, le Tchad, le Nigeria et le Mali. Les crises politico-militaires (instabilité politique) elles aussi, affectent certains pays comme le Burundi, la RDC, le Sud Soudan et la RCA. Une forte criminalité frappe également le Nigeria, la Somalie, le Zimbabwe, l'Angola et la Libye. La circulation illicite d'armes légères affecte toutes les régions du continent, étant donné les conflits qui s'y sont produits et qui perdurent (Libye, Mali, RCA, etc.). La piraterie maritime, continue également d'affecter durement les eaux du continent et les échanges, surtout dans le Golfe de Guinée et le Golfe d'Aden (Somalie, etc.). Enfin, les questions de gouvernance du secteur de la sécurité, demeurent une préoccupation, car les systèmes de sécurité de plusieurs états africains, sont défaillants et nécessitent des réformes en profondeur. Nous n'allons pas ici, couvrir l'ensemble des menaces qui guettent et affaiblissent les états africains, mais ce bref bilan nous permet de réaliser l'urgence qu'il y a, à prendre en compte très rapidement tous ces défis et cela en reposant, sur une forte gouvernance du secteur de la sécurité et sur une coopération régionale et internationale accrues.
L'année dernière, nous avions fait des recommandations basées sur un bilan de l'année 2014. Qu'en est-il aujourd'hui de leur effectivité?
1/ Relativement aux questions de violence politique et de crises politiques en général, il est à noter, que plusieurs élections se sont déroulées de façon positive sur le continent en 2015. La Côte d'Ivoire a d'ailleurs surpris la communauté internationale par sa maturité politique. en revanche, des pays comme le Burkina Faso qui ont finalement tenus des élections apaisées en fin d'année, sont passés par des moments de troubles majeures. L'année 2016 sera elle aussi, riche en élections présidentielles notamment au Gabon, en RDC, au Tchad, en Guinée Equatoriale, au Rwanda et au Bénin. Les conditions autour de certaines de ces élections demeurent troubles et confligènes. Nous recommandons donc, dans le souci de prévenir des tensions pré-électorales, électorales et post-électorales, ce qui suit: a) la signature d'une charte d'acceptation de l'alternance démocratique par tous les partis politiques, pour réitérer leur respect du jeu démocratique; b) la signature d'une charte d'inviolabilité de la constitution par tous les acteurs politiques, pour prévenir toute violence anticonstitutionnelle; c) l'appui de l'ONU ou de l'UA dans le suivi du processus pré-électoral et électoral par l'installation de missions de surveillance. Ces missions de surveillance pourraient être constituées de membres de pays ayant réussi leurs élections en 2015, tels que la Côte d'Ivoire, la Guinée et le Burkina Faso. L'expérience de ces pays n'est pas négligeable en la matière; d) une forte mobilisation de la société civile à l'instar du "Balai Citoyen" au Burkina Faso. En effet, la mobilisation citoyenne pour veiller à des élections transparentes est plus que nécessaire en Afrique. La veille citoyenne doit s'exprimer dans le respect du droit et être prise en compte par les dirigeants.
2/ Concernant la lutte contre le terrorisme, le continent s'est mobilisé militairement. En effet, plusieurs initiatives ont été prises ou sont en cours d'exécution, tant au niveau de la coordination que de l'opérationnel, notamment la création d'une force mixte multinationale (8700 hommes) par la Commission du Bassin du Lac Tchad et le G5 Sahel qui organise l'installation d'un état-major intégré. De façon pragmatique, toutes les initiatives actuelles sont essentiellement militaires, qu'il s'agisse de la coopération régionale ou internationale ou de l'assistance en matériel de combat ou de renseignement ou encore en termes de renforcement des capacités des armées africaines par les armées occidentales. Les dimensions civiles de cette lutte implacable contre la terreur que diffuse l'Etat Islamique, Boko Haram, el Shabbab ou Aqmi, restent négligées. Nous recommandons donc pour 2016 les mesures suivantes: a) une mobilisation régionale et nationale pour la mise en oeuvre de politiques de sensibilisation et d'éducation, à l'endroit des populations pour contrecarrer la guerre d'influence engagée par ces groupes; b) la mise sur pied effective au niveau national, de groupe de veille dans toutes les communautés, pour alerter les autorités en cas de menaces; c) le relèvement de l'indice de développement humain, dans chaque pays africain afin de briser le lien "ignorance-pauvreté-terrorisme"; d) l'implication plus grande des communautés musulmanes, dans la lutte en créant des comités de sensibilisation et de veille; e) l'implication de sociétés militaires privées (SMP) auprès des états qui le souhaitent, pour lutter plus efficacement contre ces groupes. En effet, l’expérience de ses sociétés pourrait renforcer les dispositions en cours. Nous pensons notamment aux pays les plus durement touchés comme le Nigeria, le Cameroun et le Mali; f) la création effective d'unités d'élite spécialisées en lutte anti-terroriste, serait un atout majeur; g) la mise en place de mécanismes nationaux de prévention de la radicalisation des plus jeunes.
3/ En ce qui concerne les tensions post-crise militaro-politique que traversent certains pays, tel que le Burkina Faso, nous suggérons ceci: a) la poursuite des réformes engagées dans le cadre de la réforme du secteur de la sécurité (RSS), dans les pays tels que le Mali et la Côte d'Ivoire. D'ailleurs, la côte d'Ivoire a récemment connu une attaque de l'un de ses post-frontières avec le Ghana. L'intégration de la RSS dans des pays comme le Burkina Faso, qui connait une paralysie de ses systèmes de sécurité est nécessaire. La RSS doit être suivie et évaluée régulièrement, par un mécanisme indépendant, pour assurer sa cohérence et son efficacité; b) l'instauration de mécanismes viables de développement humain, permettant de lutter contre la paupérisation des sociétés africaines et ainsi réduire leur vulnérabilité; c) l'acceptation des règles de bonne gouvernance est capitale pour ces pays, qui dans un contexte de reconstruction doivent également créer un mécanisme chargé d'une part, de promouvoir l'intégrité, la transparence, l'éthique et la "redevabilité" et d'autre part, de sanctionner tout manquement à ces principes.
4/ En matière de formation et de renforcement de capacités, la création de centres d'échanges et de réflexion sur les questions stratégiques, est plus que jamais à l'ordre du jour. En effet, la réflexion demeure le cœur de l'anticipation et de la prévention. Plusieurs centres ou instituts existent déjà en matière de sécurité sur le continent notamment, L'Institute for Security Studies (ISS, Afrique du Sud), le Centre Marocain d'Etudes Stratégiques (CMES, Maroc) ou encore le Centre International Kofi Annan de Formation au Maintien de la Paix (KAIPTC, Ghana) et l'Institut d'Etudes Stratégiques et de Défense (IESD, Côte d'Ivoire). L'interaction entre ces centres et les états, est critique pour enrichir la recherche sur les questions hautement stratégiques, pour la sécurité du continent. Cependant, il est crucial que ces centres ne soient pas juste la conséquence d'une tendance. En effet, l’exemple de l'IESD est édifiant, car depuis le lancement de ses activités en juin 2015, aucune activité majeure et soutenue n'a été organisée. Pire, l'IESD ne dispose pas d'une équipe dirigeante, aucun recrutement n'a été fait, il n'a pas de siège, encore moins de programme de formation.
5/ Enfin, relativement à la "maîtrise des frontières", les états africains sont plus que jamais vulnérables, car ayant des frontières exagérément perméables. En effet, cette porosité favorise les trafics de tout type allant du trafic de drogue, au trafic d'armes en passant par le trafic humain. Il est temps, que les pays africains fassent de la maîtrise des frontières, une priorité absolue. Les dispositifs frontaliers tant technologiques, qu'en personnels doivent être renforcés. La coopération transfrontalière doit, elle aussi être revue et améliorée notamment dans la surveillance des flux migratoires! D'ailleurs, une meilleure maîtrise des frontières contribue largement à la lutte contre plusieurs fléaux dont le terrorisme.
Une fois de plus, il serait prétentieux de couvrir l'ensemble des menaces et défis qui guettent les pays africains, en matière de sécurité tant leur diversité et complexité sont grandes. Nous avons en quelques lignes, couverts les sujets qui nous semblaient cruciaux de prendre en compte au titre de l'année 2016. Il appartient aux états, d'accueillir la réflexion stratégique à bras ouverts, pour qu'elle vienne compléter les dispositions étatiques existantes. Aussi est-il urgent, que les résolutions issues des différentes rencontres sur la sécurité tenues en 2014 et 2015 (Forum de Dakar, Forum de Tana, etc.), voient un début de réalisation. Dans l'espoir que notre analyse sera d'une utilité à nos lecteurs et pourquoi pas à quelques administrations, nous réitérons l'urgence d'une mobilisation inclusive régionale et nationale sur les questions de sécurité. Pour finir, la tâche peut sembler extrêmement difficile, cependant comme disait Antonio Gramsci, "...il faut allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté".