L’Alliance des États du Sahel (AES), formée officiellement en septembre 2023, composée du Mali, du Niger et du Burkina Faso, a fait couler beaucoup d'encre depuis sa création. Cette alliance pour des raisons politiques déchaine les passions autour de son existence. Je n'ai pas la prétention d'apporter toutes les réponses à des questions que vous vous poseriez mais il me semble important d'aborder le sujet sans émotions et en toute objectivité.
A ce jour, l'on peut valablement dire que l'alliance s'opérationnalise surement en bravant tous les défis qui se dressent sur son chemin. Cependant, l'une des difficultés majeures réside dans l'absence de données fiables quant à l'évolution des 3 états alliés, du fait du caractère stratégique des enjeux. En effet, les sources d'information nationales ont une forte tendance à survoler les sujets sensibles tels que la lutte antiterroriste et parfois semblent édulcorer certaines réalités.
D'ailleurs, peu importe ce que l'on pourrait reprocher aux dirigeants du Mali, du Burkina et du Niger, selon nos convictions ou autres, il faut bien reconnaitre que ces 3 pays ont su se démarquer dans leur quête d'autonomie ou de "révolution populaire progressiste". Il ne se passe pas un jour sans que les médias locaux fassent l'apologie des résultats obtenus de façon pseudo "indépendante". L'on doit saluer la patriotisme qui caractérise les actions posées dans ces pays tant au niveau économique que sécuritaire.
D'un autre côté, les informations issues de la presse internationale ou spécialisée, sont moins reluisantes et tendent à mitiger les résultats obtenus en particulier d'un point de vue de la sécurité des personnes, dans le cadre de la lutte contre terroriste (territoires occupés, victimes, attaques etc.). La guerre informationnelle bat donc son plein.
Mon analyse ou introspection de l'alliance repose donc sur cet équilibre entre informations avérées et propagande, équilibre inévitable lorsque l'on n'est pas soi-même sur le terrain. Cette introspection passera en revue les forces et faiblesses de l'Alliance:
1/ Les Forces:
- Une volonté d’autonomie politique et une solidarité idéologique:
Cette volonté se manifeste par le rejet de l’influence étrangère perçue, notamment française et occidentale. Ce rejet me semble exagéré et relavant davantage de l'erreur stratégique car les alliances se font et se défont avec le temps et les intérêts évolutifs. Hier c'était la France, aujourd'hui c'est la Russie et pour combien de temps et pour quel agenda concret? Bientôt la Chine? La conquête de l'Afrique par la Russie est bien plus subtile et repose sur l'outil propagandiste et militaire.
L'Affirmation de la souveraineté nationale contre les sanctions de la CEDEAO et les pressions internationales diverses renforce cette volonté d'autonomie politique. Là aussi, l'exagération du patriotisme davantage nationaliste vient ternir les intentions nobles de ces 3 pays. L'affirmation de la souveraineté devrait s'exercer aussi à travers la diplomatie constructive et bienséante.
La souveraineté ne signifie aucunement le rejet des autres, en particulier d'anciens partenaires. Les nouvelles alliances sont belles et trompeuses et se meuvent subtilement en une influence grandissante exercée par les nouveaux partenaires. Il conviendrait de trouver un équilibre entre les partenaires et de maintenir la diversification sur ce sujet. Rien de tel que de disposer de plusieurs options pour se développer.
Enfin, les 3 pays de l'AES, misent tout sur un soutien mutuel entre régimes militaires face à l’isolement diplomatique et partagent une vision commune d’un "nouvel ordre sahélien", plus adapté aux réalités locales. ils illustrent parfaitement l'adage qui dit que "l'union fait la force".
- Une coopération sécuritaire renforcée:
L'une des force de cette alliance, est la mise en commun des ressources militaires face à une insécurité partagée (terrorisme djihadiste, banditisme transfrontalier, etc.). Le Niger, le Burkina et le Mali, sont engagés à défendre mutuellement leurs territoires (pacte de défense mutuelle).
Sur la problématique sécuritaire, la menace terroriste demeure le défi principal et impacte quotidiennement la vie des populations vivant dans les zones à reconquérir par ces pays. A cet effet, en janvier 2025, les trois pays ont annoncé la création d'une force militaire unifiée de 5 000 soldats pour lutter contre le djihadisme dans la région.
L'aspect militaire reste donc très marqué avec notamment le renforcement des capacités opérationnelles des forces de l'alliance. Les budgets militaires de ces états ont explosé depuis l'avènement de l'AES et constituent une priorité absolue.
- Un potentiel stratégique incontestable:
Le Contrôle d’un vaste espace sahélien riche en ressources naturelles (uranium au Niger, or au Mali et au Burkina) reste l'un des atouts majeurs de l'AES. Sa position géostratégique au carrefour de l’Afrique de l’Ouest et du Maghreb, renforce son influence régionale qui attise les convoitises autour de ses richesses notamment minières.
D'ailleurs, la volonté de créer une banque AES et la mise en place d'une communauté de l'AES couplée avec les efforts nationaux de création d'entreprises locales notamment d'usines de transformation, sont des indicateurs d'une relative bonne santé de l'alliance.
2/ Les faiblesses:
- Un manque de légitimité démocratique:
Les 3 pouvoirs sont issus de coups d’État. Le mode d'accession au pouvoir reste un sujet à polémiques étant donné son caractère armé. Ceci étant dit certains états étrangers reconnaissent leur légitimité (pays des BRICS) et d'autres non. L'AES est venue ébranler les paradigmes passés sur la notion de démocratie et surtout justifie l'accession au pouvoir par tous les moyens selon le contexte.
Cependant, il est à noter que les 3 pays sont soumis à des pressions internes (contestation et fragilité institutionnelle) qui fragilisent la gouvernance. D'ailleurs beaucoup d'observateurs les considèrent comme des états policiers qui gagneraient à davantage mettre l'accent sur la consultation des populations et de leurs représentants à l'assemblée nationale.
Ceci étant dit il importe de souligner que la notion traditionnelle de la démocratie doit s'adapter à son temps et ainsi faire l'objet de plusieurs modèles selon les circonstances. Il n'y a pas qu'un modèle de démocratie mais une diversité.
- Un isolement diplomatique et une Faible intégration économique:
La suspension ou rupture des relations avec certains partenaires internationaux et la rupture avec la CEDEAO et les partenaires occidentaux affectent les échanges et le commerce régional et international. Les Sanctions économiques et financières de la CEDEAO et de l’UEMOA impactent les économies peu diversifiées, très dépendantes des exportations de matières premières.
Cependant, le partenaire principal aux pays de l'AES est la Russie avec dans une certaine mesure la Chine et les pays BRICS. Ceci vient donc réduire les risques économiques et financiers.
- Capacité militaire limitée:
Bien que le domaine militaire soit en pleine restructuration et qu'un réarmement majeur soit en cours dans les 3 armées de l'alliance, celles-ci demeurent en sous-effectif et connaissent des difficultés logistiques. La coordination militaire quant à elle reste encore perfectible.
Il est à noter que ce qui fait une armée est bien au-delà de sa capacité de riposte face à la menace, c'est d'abord et avant tout une cohésion interne sans faille, un état d'esprit ou esprit de corps avéré et éprouvé.
D'ailleurs le dernier classement indépendant Global Fire power 2024, classe 145 pays selon leur indice de puissance. Ainsi, le Mali est 106è mondial, le Burkina 127è et le Niger est 121è. A titre d'exemple, la Côte d'Ivoire est quant à elle notée 98è mondial.
Aussi, l'impact réel de la montée en puissance de l'outil militaire reste à démontrer, eu égard aux infiltrations permanentes des groupes armés et aux attaques qui en résultent. Selon le journal "le Monde", En 2024, ces trois pays ont enregistré 3 885 décès dus à des actes terroristes, représentant plus de 51 % des 7 555 morts liées au terrorisme dans le monde cette année-là. Ces chiffres soulignent la nécessité d'une réponse coordonnée et efficace pour lutter contre le terrorisme dans l'AES et stabiliser la région.
- Défis humanitaires et sociaux
Le Niger, le Burkina Faso et le Mali, sont parmi les pays africains ayant le plus faible indice de développement humain (IDH), premier critère pour noter la bonne santé socio-économique d'une nation. En effet, selon le rapport 2023-2024 de l'IDH, sur 193 pays notés, le Niger est classé 189eme, le Mali 188eme et le Burkina 185eme, en comparaison, la Côte d'Ivoire 166eme et le Kenya 146eme. Les crises humanitaires récurrentes (déplacements de population, famine et pauvreté) du fait de l'instabilité sécuritaire, les défis éducatifs et de santé, viennent exacerber ce classement des pays de l'AES.
Pour conclure, l’AES est une réponse politique et militaire à un sentiment d’abandon et d’ingérence ressenti par ses membres. Elle offre une opportunité de coopération régionale plus autonome, mais ses fragilités internes, son isolement et ses moyens limités pourraient en freiner la pérennité et l’efficacité.
Je recommande ainsi aux 3 pays membres de l'alliance de procéder par consultation de leurs populations, à travers des sondages d'opinion indépendants, confiés à des cabinets internationaux, afin de contrecarrer les tentatives de désinformation visant à atteindre leur crédibilité. Ces consultations sur l'ensemble des politiques publiques, renforceraient leur crédibilité d'ensemble et contribueraient à améliorer leur image tant au niveau national, qu'international.