De la dissonance stratégique

Publié le par Jean-François CURTIS

Chers lecteurs, presque 6 mois sans partager avec vous quelques pistes de réflexion sur notre actualité africaine, ça fait long! Ce n'est pas faute d'avoir de la matière mais simplement du temps à consacrer à l'écriture. Oui écrire ça demande du temps!

Alors, pour rester fidèle à notre lucidité intellectuelle et à notre objectivité, je ne peux rester silencieux face au fracas d'influence stratégique en cours sur notre continent! Que se passe-t-il réellement depuis quelques années entre les puissances militaires en présence?

Pour ma part, le jeu des puissances qui prévaut en Afrique est le signe d'une dissonance stratégique sans précédent ou du moins pas très éloignée de celle de la guerre froide. Attention à ne pas s'y méprendre, nous sommes loin de la guerre froide et davantage dans la conflictualité décomplexée des émotions et des relations entre états.

En effet, que dire de la transposition du conflit ukrainien sur le continent africain? Précisément en Afrique de l'Ouest entre l'Alliance des Etats du Sahel (AES) et la France? Que penser véritablement des intentions russes, chinoises ou françaises dans leur interventions?

Tenez vous bien et sans surprise, il n'y a qu'un maître-mot: "l'intérêt"! Oui, rien d'extraordinaire mais cela est bien trop souvent écarté pour laisser la place aux émotions qui conduisent à la victimisation. Nous, africains, avons trop tendance à réduire les incompréhensions avec l'ex-colonisateur, au néocolonialisme, nous faisant passer pour d'éternels victimes et finalement victimes d'elles-mêmes.

Le constat est rude mais sans appel et nous ramène à l'essentiel. La Russie, la Chine, la France, les Etats-Unis et autres puissances militaires n'agissent pas dans le désordre, mais bel et bien selon un agenda prédéfini dénommé: "politique ou stratégie africaine". Ces puissances disposent d'un agenda géostratégique qui s'étale sur plusieurs années et reposant sur une prospective militaire de haut vol! C'est ainsi que la coopération militaire russe auprès des pays de l'AES découle d'un programme précis ayant des objectifs à court, moyen et long terme. La Chine en implantant une base militaire à Djibouti, se projette sur plusieurs décennies et se prépare à d'éventuels conflits ouverts.

Contrairement à ces puissances militaires, nos états africains n'inscrivent que rarement leurs actions dans le temps et sur la base d'une stratégie pensée et reposant sur des faits d'armes.  Nous fonctionnons trop souvent sur la base des émotions et sommes davantage dans la réaction que dans l'anticipation, à gérer les urgences au lieu de les prévenir! Quel est l'agenda africain relatif aux rapports avec les puissances de ce monde?

Opter pour des approches pro-actives et non réactives devient alors primordial pour nos états. Les pays de l'AES disposent-ils d'un agenda militaire pensé et formalisé dans le cadre de la coopération avec la Russie? L'on peut se poser la question. Ou s'agit-il de décisions prises à la hâte et de réactions spontanées, liées à l'actualité du moment? Il conviendrait alors pour les pays membres de l'AES, de repenser de façon réaliste leur sécurité collective et de signer de nouveaux accords de diplomatie militaire notamment avec les BRICS. Aussi, s'avère-t-il contre-productif de couper tout lien avec la France. Une posture davantage réfléchie et plus mature, consisterait à reconsidérer les rapports avec l'ex-colonisateur. Des rapports repensés, équilibrés pour des actions plus équitables mais pas de rupture.

La dissonance stratégique provient alors, de cette absence d'harmonie dans les choix faits qu'ils s'agisse des choix russes ou français ou encore maliens. L'on pourrait imaginer un minimum d'harmonie dans les postures de certains pays pour assurer une cohérence d'ensemble. L'AES semble aller dans le sens d'une vision partagée face à la menace terroriste, mais est-ce vraiment le cas? Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont-ils la même perception de la menace, les enjeux sont-ils identiques et les réponses convergentes? 

Pendant ce temps, les pays de la CEDEAO eux aussi semblent avoir des agendas discordants, quant aux différents enjeux sécuritaires et ne répondent pas toujours d'une même voix face aux défis à relever. L'Afrique de l'Ouest souffre d'une fracture qui pourrait d'ici 5 ans lui couter cher avec la création par les groupes terroristes, d'un califat islamique.

Aussi, voudrais-je rappeler que les puissances militaires agissant en Afrique ont toute pour dénominateur commun, l'expansionnisme et la conquête! Qu'il s'agisse de conquête économique, de guerre de l'information ou de positionnement, tout revient à ce qui fait d'une puissance une puissance à savoir, sa capacité à influencer le cours de l'histoire de l'humanité!

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