Renseignement en Afrique: Quelle gouvernance?
Les services de renseignement occidentaux sont dans une phase de réorganisation et d'adaptation, face à la menace accrue que constitue aujourd'hui le terrorisme. En Afrique, les services de renseignement sont quant à eux, plus que jamais, mis à l'épreuve du fait de menaces de plus en plus complexes mais également du fait de leurs carences de plus en plus criardes. Au cœur de l'évolution du renseignement, demeure la question de sa gouvernance. Où en sont les pays africains, dans leur compréhension des enjeux liés au renseignement? Où en sont-ils avec la réforme de leurs services de renseignement? Comment font-ils face aux exigences de gouvernance démocratique?
L'état des lieux des services de renseignement en Afrique, présente un résultat mitigé, pour ne pas dire davantage inquiétant compte tenu, du déficit criard d'anticipation des risques et menaces. Les multiples crises intra-étatiques essentiellement caractérisées par des coups-d'états, traduisent bien souvent l'inefficacité de services de renseignement obsolètes, tant dans leur gouvernance, que dans leurs politiques, méthodes et moyens. La propagation de menaces insidieuses comme le terrorisme, reflète aussi une carence en renseignement qui, s'il était efficace permettrait au moins de réduire l'expansion de la terreur sur le continent à défaut de l'éradiquer. Les enjeux liés à la cybercriminalité eux aussi ne sont pas en reste, les services de renseignement africains n'évoluent pas avec la menace, ils sont davantage dans la réaction plutôt que dans l'anticipation. Les remises en questions face aux divers échecs dans l'exécution de leurs missions, sont rares pour ne pas dire inexistantes. Les questions d'intégrité, de transparence, de redevabilité (responsabilité) et d'éthique sont elles aussi, dans la plupart des cas ignorées car contraignantes pour les gouvernements et souvent bafouées par les services de renseignement.
Par ailleurs, il serait injuste de considérer que les services de renseignement, sont les premiers responsables du manque d'anticipation des risques et menaces qui guettent et frappent le continent. En effet, la responsabilité incombe avant tout, à l'exécutif des pays africains qui très souvent navigue à vue sur les questions de renseignement, du fait d'une absence de stratégie nationale du renseignement. Il arrive que des dispositions soient prises, pour définir une politique en matière de renseignement, mais ces dispositions s'inscrivent souvent dans le cadre d'une réforme du secteur de la sécurité, qui peine à se réaliser du fait de ses lacunes, tant dans sa conception que dans son exécution. Pire encore, les pays africains calquent leurs services de renseignement sur le modèle des services de l'ancien pays colonisateur, modèle qui ne correspond pas aux exigences africaines en la matière et qui explique aussi l'inefficacité desdits services.
Ce succinct constat nous confronte donc à l'inéluctable question de la gouvernance du renseignement en Afrique. Comment les services de renseignement sont-ils coordonnés, comment sont-ils organisés? quelles sont les dispositions légales qui encadrent l'action des services de renseignements? Le sujet est vaste et d'une complexité déconcertante tant les difficultés sont multiples, endogènes et exogènes.
En matière de législation, le renseignement est très souvent insuffisamment encadré. Bien des pays africains occultent la nécessité de légiférer sur les questions de renseignement du fait du mythe qui entoure le sujet, à savoir que le renseignement relève exclusivement de l'exécutif et du fait du "secret d'état", qui plombent toute action à caractère démocratique et transparent. Il faut reconnaître que le renseignement en Afrique demeure extrêmement opaque et illisible tant le sujet est "tabou" et ne saurait être débattu ouvertement dans certains pays au régime rigide et fébrile.
De même, la coordination des différents services de renseignement qui cohabitent dans les pays africains, demeure une préoccupation. La rivalité des services, crée un climat qui favorise l'inefficacité et la méfiance. Des pays comme la Côte d'Ivoire essaient de centraliser la gestion du renseignement en créant une coordination nationale du renseignement qui regroupe tous les acteurs du secteur. Mais cet effort de coordination est-il efficace et efficient?
Pour mesurer l'efficacité des services en matière de gouvernance du renseignement, l'un des indices les plus reconnus est le Government Index (GI2013) produit par Tranparency International. Cet indice mondial, reflète le niveau de bonne gouvernance notamment dans le secteur du renseignement. A ce titre, il faut retenir que dans son dernier rapport de 2013, Transparency International note que 85% (12/14) des pays d'Afrique Subsaharienne notés ont obtenu une note inférieure à 50/100. L'Afrique du Sud et le Kenya, sont les pays d'Afrique noire ayant obtenu la moyenne soit 50/100. Cet indice mesure le niveau du risque de corruption et la vulnérabilité des dispositifs de défense et de sécurité dans les pays.
Tout compte fait, le tableau dépeint ci-dessus permet d'identifier plusieurs anomalies à corriger dans l'urgence par les gouvernements des pays concernés. Ainsi nous proposons comme actions correctives, applicables à tous les pays africains, les mesures suivantes:
- Du point de vue de l'exécutif, il est impérieux que ce-dernier élabore une stratégie nationale du renseignement, soucieuse des normes démocratiques, qui soit pragmatique et réaliste. Une stratégie cohérente et inclusive garantit l'anticipation du risque et de la menace.
- Du point de vue de la coordination, il appartient à chaque gouvernement de mettre en place, un mécanisme unique de coordination nationale de l'action en matière de renseignement. Ce mécanisme devra inclure tous les acteurs du renseignement, notamment la société civile qui bien souvent est oubliée.
- Du point de vue de la législation, il est impératif que les lois évoluent pour prendre en compte le renseignement et pour encadrer l'action des services. En effet, bien des pays africains ne disposent pas de l'arsenal juridique nécessaire, pour non seulement encadrer cette impérieuse activité mais aussi protéger le citoyen contre d'éventuelles dérives.
- Du point de vue de la gouvernance du renseignement, il est important que les services dédiés soient davantage responsabilisés, qu'ils rendent compte de leurs activités et que l'Assemblée nationale joue son rôle de garant du contrôle démocratique. Le contrôle parlementaire est indispensable, pour asseoir un raisonnable degré de transparence du renseignement (publication de rapports, auditions devant la commission dédiée de l'Assemblée nationale etc.). Aussi, le budget dévolu au renseignement devra être soumis à l'approbation de l'Assemblée nationale, pour notamment garantir sa légitimité mais aussi sa transparence. Une telle exigence de transparence permettra, de lutter contre la corruption qui mine cette activité du fait de budgets mirobolants dont la gestion reste opaque. Enfin, pour finir sur ce chapitre, il est souhaitable que les questions d'éthiques soient prises en compte dans la pratique du renseignement. En effet, il serait utile que les services de renseignement soient sensibilisés sur la place de l'éthique et de la déontologie dans leurs actes quotidiens. C'est donc un savant équilibre qu'il faudra trouver entre éthique et impératifs liés à la mission.
- Du point de vue des ressources humaines et matérielles, dévolues au renseignement, il est urgent que les pays africains mettent l'accent, sur le renforcement des capacités de leurs personnels. La formation du personnel est fondamentale pour garantir un niveau de professionnalisme raisonnable et respectueux du droit. D'ailleurs, plusieurs dérives existent dont la corruption, la faute professionnelle, le détournement de fonds, le financement d'opérations clandestines, contraires à l'éthique du métier et l'espionnage politique. Pour ce qui est des ressources matérielles, là aussi des efforts doivent être consentis par les gouvernements, pour renforcer l'efficacité de leurs services par l'acquisition de matériels dédiés et à la pointe de la technologie. Pour conclure sur ce chapitre, les méthodes elles aussi doivent être revues et adaptées, pour mieux répondre aux défis que constitue par exemple la lutte contre le terrorisme.
- Du point de vue du rôle du citoyen, il est impérieux que les pays africains impliquent davantage ce-dernier dans la réflexion sur le renseignement notamment à travers l'éducation, la mobilisation de l'opinion publique, la médiatisation et la communication autour du renseignement. Le rôle et les missions des services de renseignement doivent être diffusés ouvertement, l'utilisation de l'argent public et son efficacité doivent être communiqués et débattus. Enfin, il apparait clairement que l'impératif de discrétion autour de certaines missions devra être préservé à juste titre, mais cela ne devra pas être un prétexte pour se cacher derrière le "secret défense ou autre".
- Du point de vue de l'action concertée, les pays africains pourraient dans les plus brefs délais, se retrouver au sein de l'Union Africaine, pour élaborer une politique commune du renseignement facilitant l'échange d'informations critiques ou stratégiques et accentuant le partage d'expérience.
Pour conclure, l'exigence de transparence et l'impératif du secret qui entoure l'activité du renseignement, ne sont que quelques équations complexes que les pays africains devront résoudre, pour améliorer leurs dispositifs tout en respectant l'éthique. La réforme des services de renseignement est un impératif, qui s'inscrit de plus en plus dans une démarche globale de "réforme des systèmes de sécurité". Il devient donc urgent, de consacrer tous les efforts tant financiers, qu'humains pour garantir la sécurité du continent, face notamment à la montée du terrorisme fondamentaliste. Le renseignement a donc de beaux jours devant lui, à condition qu'un état des lieux exhaustif soit réalisé, qu'une stratégie soit clairement élaborée, que le personnel soit formé et que les moyens soient mis à disposition des services.