La guerre : phénomène "ausculté"

Publié le par Jean-François CURTIS

Gaston Bouthoul (1896-1980)
Gaston Bouthoul (1896-1980)

La guerre en tant que catalyseur du changement dans nos sociétés depuis leur existence, a suscité bien des réflexions visant à l'étudier sous tous ses contours. La guerre bien que douloureuse dans son décompte macabre, est bel et bien un facteur inéluctable de l'évolution de nos sociétés et souvent de leur régression. Les penseurs occidentaux, parmi les meneurs de la réflexion sur toutes les grandes sciences ou arts de ce monde, notamment la Stratégie, ont anticipé la recherche sur ce phénomène sociétal qu'est la guerre, pour mieux la comprendre et en discerner les enjeux. Les praticiens comme les théoriciens de la guerre, ont approfondi le sujet tant d'un point de vue social, que d'un point de vue philosophique.

La guerre a de tout temps façonné notre existence soit positivement, soit négativement, tout étant une question de point de vue, de camp que l'on choisit! Une chose est cependant indiscutable, la guerre présente un tel caractère de constance dans les sociétés humaines, qu'elle constitue une des formes primordiales de l'activité humaine! La violence justifiée ou pas est propre à notre nature. L'éternelle question du bien-être de l'humanité, nous ramène à l'incontournable appréciation de "la nature humaine" par Thomas Hobbes dans son œuvre monumentale "Léviathan" (1651), qui disait ceci "à l'état de nature, l'homme est un loup pour l'homme, à l'état social, l'homme est un dieu pour l'homme...". Le degré de pacifisme d'une nation tient compte de tellement de facteurs, qu'il est important de rappeler que Hobbes dans son œuvre citée précédemment, avait pour "projet de fonder l'ordre politique sur un pacte entre les individus, afin de faire de l'homme un acteur décisif dans l'édification de son propre monde social et politique". En d'autres termes, le 21ème siècle n'a pas encore vu l'homme passer d'un "état de nature" à un "état civil" et pour cause, la continuité de la violence d'état elle-même puisant ses ressources dans la violence humaine!

François Géré, dans son "Dictionnaire de la pensée stratégique", définit la guerre comme "l'usage de la force armée, pour dénouer une situation conflictuelle, entre deux ou plusieurs collectivités politiquement organisées". Des grandes batailles d'Alexandre le Grand, des victoires de Gengis Khan, des épopées de Thomas Edward Lawrence en passant par la résistance de Chaka Zulu ou de Soundiata Keita, aux stratagèmes de Napoléon Bonaparte, l'Art de la guerre par l'exemple, ne manque pas d'illustrations. L'on peut être tenté de classer les guerres, selon plusieurs critères tant phénoménologiques (guerre offensive, défensive, asymétrique, terrorisme, guérilla, etc.), matériels (conventionnelle, nucléaire, électronique, etc.), philosophiques (guerre idéale ou réelle), que stratégiques (attrition, usure, contournement, etc.). La liste des critères est interminable mais il faut retenir, que toutes ses approches de la guerre se retrouvent et se complètent dans la polémologie. Une science interdisciplinaire pas assez pratiquée en Afrique, même au 21ème siècle.

Gaston Bouthoul, français, docteur en droit et philosophie est le fondateur de la polémologie. C'est en 1945, qu'il introduit officiellement la notion de polémologie, en créant l'institut français de polémologie. La polémologie telle que définie par son créateur en 1942, a pour objet l'étude scientifique des guerres, des paix et des conflits, trilogie inséparable de la vie des sociétés. La polémologie est à la fois en 1945, la découverte d'un mot et la naissance d'une discipline. Cette discipline a connu un franc succès depuis sa création mais est réservée à une élite tant ses fondements sont complexes et son champ vaste. Thierry de Montbrial dans son "dictionnaire de stratégie", met en exergue le rapport entre la polémologie et la stratégie en ces termes: "la polémologie relève du domaine de la connaissance et se propose d'étudier tous les champs conflictuels dans leur profondeur et leur évolution, avec pour seul objectif: "si tu veux la paix, connais la guerre". La stratégie relève du domaine de l'action, à la fois réfléchie et soudaine qui, par un enchaînement d'actes tactiques divers...., vise à établir ou rétablir des situations favorables au desseins du politique." Le polémologue est donc l'expert qui étudie la guerre, la paix et les conflits tant dans leurs signes annonciateurs , leurs causes que leurs effets. Ainsi, le polémologue s'intéresse au rôle de la guerre dans les mutations sociologiques (les conflits précédent-ils ou suivent-ils les crises de civilisations?).

Il faut bien reconnaitre que la polémologie n'a pas fait beaucoup d'émules en Afrique, ou alors s'ils existent, ils n'ont pas été très actifs ou encore ils sont simplement méconnus. Combien existe-t-il de polémologues africains? Quand bien même des réflexions ont été menées par des universitaires africains, spécialistes en sociologie ou en politique, leurs réflexions ont été partielles car ne prenant pas en compte le caractère pluridisciplinaire et interdisciplinaire de la polémologie. La création d'un "centre africain de polémologie", serait un atout, eu égard aux multiples crises qui secouent le continent. Ce centre enseignerait la polémologie mais surtout initierait la recherche sur la trilogie "guerre-paix-conflits sur le continent". L'Afrique doit disposer de sa réserve de polémologues, car les conflits sont une constante de l'histoire avec leurs spécificités. Il faut cependant, reconnaitre l'existence de plusieurs instituts africains dédiés à la stratégie, qui étudient les conflits, mais cela demeure insuffisant étant donné les crises qui perdurent. Enfin, La recherche doit être approfondie et dynamique, surtout avec l'expansion et la mutation du terrorisme.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :