Terrorisme: quelle réponse en Afrique?
Les attentats terroristes qui ont secoué la France durant 72 heures entre le 07 janvier et le 9 janvier 2015, ont transposé de façon brutale sur le territoire français, l'horreur vécue en Afrique sub-saharienne par les populations et les états impuissants. En effet, le bilan est lourd, 3 terroristes abattus, 17 victimes décédées, une vingtaine de blessés et des millions de français marqués, tout ceci en 3 jours. Seules les attaques sporadiques de Boko Haram au Nigeria peuvent se targuer de tels bilans macabres qui bien souvent sont bien plus lourds d'ailleurs. Ce n'est pas uniquement le décompte macabre qui doit prévaloir ici, eu égard aux précédentes victimes du terrorisme dans le monde, mais également le symbole qui a été bafoué! Oui, c'est la France, pays des droits de l'Homme, pays incarnant la liberté d'expréssion qui a été frappé de plein fouet par le radicalisme et l'intolérance. Charlie Hebdo incarnait cette liberté d'expression certes vive et brute par moment mais authentique. Ces attentats ont fait plusieurs victimes mais pouvait-on penser que la liberté d'expression serait la cible d'actes terroristes?
L'Afrique n'est malheureusement pas en reste dans cette "barbarie de la terreur", le continent subi avec violence et impuissance les assauts répétés de plusieurs groupes dont les principaux sont AQMI (branche d'Al Qaida), Boko Haram et Al-Shabab, tel qu'illustré sur la carte ci-dessus. Là aussi le décompte macabre est sans appel: on atteint près de 15000 morts à ce jour (2000 à 2014)! Selon l'Institute for Economics and Peace (IEP), dans son rapport sur le terrorisme (Global Terrorism Index 2014), les 3 groupes précités, figurent dans le top 10 des groupes les plus actifs, violents et meurtriers depuis leur création. A titre d'exemple, de 2002 à 2013, Boko Haram, avec près de 10000 hommes, a réalisé 750 attaques au Nigeria, réalisant ainsi un bilan macabre qui avoisine les 3500 morts (2009-2013), sur la base d'un extrémisme religieux matérialisé par la volonté d'instaurer un état islamiste (application sans condition de la Charia au Nigeria).
D'autres indices internationaux viennent conforter le rapport de l'IEP, notamment le rapport 2015 du cabinet spécialisé en risques-pays, "AEGIS Advisory" sur les risques stratégiques (Strategic Risk Outlook 2015) et celui du cabinet GEOS, lui aussi spécialisé en risque-pays (Risk Map 2014).
Face à un tel constat certes alarmant, que nous avons déjà décrit dans deux articles précédents, nous n'allons pas revenir sur les causes, ni sur les modes opératoires (loups solitaires, attaques frontales, rapts, prises d'otages, cyber-attaques, etc.) de ces groupes terroristes, qui ont d'ailleurs leurs spécificités tant dans l'approche idéologique que dans l'opératique, mais nous allons proposer une stratégie pour une réponse régionale, cohérente et globale à la menace permanente qu'est l'extrémisme religieux.
En effet, c'est une esquisse d'une stratégie multidimensionelle qu'il convient de réaliser, pour mieux contre-carrer l'expansion de l'idéologie terroriste sur le continent, tout en prenant pour modèle, le théâtre d'opérations militaires qui se caractérise par plusieurs fronts. Ainsi notre stratégie multiforme, prend en compte simultanément huit fronts :
1/ Le front idéologique: le terrorisme puise sa force dans une idéologie de l'extrême religieux. La "Charia" est le modèle classique qui attire bien des candidats. L'occident est présenté comme "la plaie" et les mouvements radicaux islamistes sont la solution à cette "plaie". Il serait donc opportun, de battre le terrorisme sur son terrain de prédilection qu'est l'idéologie. Il faut que les sociétés africaines presque toutes occidentalisées, proposent à leur jeunesse une alternative idéologique viable et pragmatique pour éviter l'attrait du radicalisme. C'est l'introduction d'un idéal de vie, qui permettra de faire la différence entre le terrorisme et la démocratie. Les pays africains doivent donc dans un court délai, mettre en place des commissions pluridisciplinaires chargées de réfléchir à cet idéal sociétal (un modèle de démocratie africaine), qui pourrait faire rêver des jeunes et ainsi les détourner de l'obscurantisme religieux.
2/ Le front du développement: A ce niveau, il s'agit de mettre en place des outils qui permettront de contenir l'attractivité du terrorisme, auprès des plus vulnérables des sociétés africaines. En effet, le fort taux de paupérisation et d'analphabétisme de ces sociétés, constitue un creuset pour le recrutement de jeunes, en pleine crise identitaire et en quête de repères. Nous suggérons donc, une mise en oeuvre urgente, des mesures issues de l'Indice de Développement Humain (IDH) réalisé par le PNUD, dans chaque pays concerné. Aussi est-il important, d'associer la société civile à toute la réflexion sur ce sujet pour une réponse inclusive et participative. Chaque pays africain pourrait créer au niveau communautaire, un comité de veille et de prévention contre les dérives sectaires issues du dévoiement de l'Islam. Mieux, la création de comités locaux de veille et de sensibilisation dans chaque village des pays menacés ou frontaliers, serait un atout majeur. Ces comités locaux permettraient d'accentuer la sensibilisation des jeunes quant aux risques de radicalisation religieuse et serviraient de dispositifs d'alerte précoce.
3/ Le front militaire: ici, il s'agit de frapper militairement tous les groupes terroristes au coeur de leur dispositif. Encore faut-il, que les armées africaines soient outillées pour une telle option. Ceci étant dit, une réponse concertée par exemple, au niveau de la CEDEAO avec l'appui des pays occidentaux pourrait permettre d'affaiblir la menace terroriste dans la sous-région, à l'instar du recul d'AQMI au Mali (du moins de son affaiblissement). A ce niveau, il faudrait dans chaque pays africain, créer en urgence des unités spécialisées dans l'action en profondeur (forces spéciales) pour agir de façon chirurgicale et efficace contre ces groupes. Le soutien aérien ou logistique de pays occidentaux serait idéal. Nous recommandons comme réponse sous-régionale (CEDEAO), la création d'une unité d'élite mixte de type GIGN (Groupe d'Intervention de la Gendarmerie Nationale) ou SWAT (Special Weapons and Tactics), pour mutualiser les moyens des pays africains dans cette lutte implacable. Aussi ne faut-il pas ignorer, la capitalisation de la concluante expérience de pays comme le Tchad qui ont su démontrer leurs capacités opérationnelle et tactique à affronter ces groupes. Enfin, l'externalisation de la lutte contre le terrorisme, demeurent une option complémentaire, pour endiguer l'avancée ou la nuisance de ces groupes. Cette externalisation se matérialiserait pour les pays émergents du continent (Nigeria, Côte d'Ivoire, etc.), par l'utilisation des Sociétés Militaires Privées (SMP) susceptibles de disposer des compétences nécessaires et du matériel adéquat.
4/ Le front du renseignement: le renseignement demeure au coeur de la lutte contre le terrorisme en Afrique notamment. il s'agit pour les pays africains, de se concerter au niveau sous-régional pour mutualiser et partager les moyens nécessaires à ladite lutte. Ces pays connaissent d'ailleurs, un déficit en renseignement qu'ils paient très cher. Il serait donc judicieux, de polariser les efforts autour d'une synergie sous-régionale du renseignement. Là aussi, l'appui occidental par, entre autre, la formation et l'usage de drônes serait un atout. Enfin, le renforcement des capacités nationales en matière de renseignement stratégique, reste la clé de voûte de cette problématique terroriste.
5/ Le front religieux: la mobilisation sans précédent des communautés musulmanes en Afrique, est plus que nécessaire pour dénoncer le radicalisme religieux et ses conséquences qui frappent également des musulmans. D'ailleurs, Il existe qu'un Islam et des dérives islamistes extrémistes. Ce sont ces dérives qui doivent être dénoncées, car portant atteinte directement ou non à cette noble religion. Cette option peut sembler utopique, car bien des sociétés africaines sont déjà minées par des dérives sectaires religieuses et évitent donc le sujet.
6/ Le front législatif: ce chapitre est certainement l'un des plus importants, car il préconise la révision de l'arsenal juridique des pays africains, afin de l'adapter à la menace terroriste. En effet, les législations nationales doivent évoluer, pour intégrer de façon cohérente et réaliste, des dispositions facilitant l'intervention des forces de sécurité et de défense dans la lutte contre le terrorisme.
7/ Le front international: une coopération internationale est plus que vitale, pour permettre aux pays africains de faire reculer le terrorisme. L'appui en renforcement des capacités, en formation et en logistique seraient le socle de cette coopération accrue.
8/ Le front financier: enfin, ce dernier aspect de notre stratégie, détermine presque l'ensemble de notre proposition, car le nerf de la guerre demeure l'argent. Nous recommandons que les pays africains, organisent de discrètes levées de fonds pour la lutte anti-terroriste, tant nationales, qu'internationales, à l'instar de la lutte contre Ebola, qui a vu bien des donateurs se manifester. De cette solidarité financière dépendera l'issue de la lutte anti-terroriste.
En conclusion, combattre le terrorisme pour le faire reculer ou pourquoi pas l'anéantir (idéal), constitue la priorité majeure mondiale aujourd'hui. Il serait donc opportun pour les pays africains, de profiter de cet élan de solidarité et de conscience internationales, pour renforcer leurs dispositifs nationaux et ainsi contribuer activement à cette lutte pour la liberté et la justice. Une stratégie multidimensionnelle et concertée s'impose donc pour y arriver.