Forces Spéciales en Afrique subsaharienne: mythe ou réalité?
Les Forces Spéciales au sein des armées dans le monde, constituent le fer de lance de la stratégie militaire. En effet, elles sont l'illustration même de la volonté des Etats de disposer de forces spécialisées et hautement performantes pour des missions dites "spéciales", à haute portée stratégique donc sensibles et secrètes. L'action des forces spéciales dans le monde est caractérisée par la discrétion, la célérité, la précision et l'efficacité.
Sur cette base, est-il réaliste de dire que les pays africains disposent de forces spéciales? Ces forces n'auraient-elles de "spéciales" que le nom? Sont-elles effectivement utilisées à des fins stratégiques ou davantage, selon le régime, comme des milices à la solde de l'exécutif? Qu'en est-il de leur gouvernance? Sans généraliser nos propos, l'Afrique du Sud et le Kenya, ont une tradition de "forces spéciales" qui ont eu à faire leurs preuves dans bien des situations de crise. D'autres pays comme le Tchad disposent d'unités d'élite aguerries ayant notamment mis en déroute les terroristes présents au nord-Mali au début de l'intervention internationale.
La difficulté dans l'identification de forces spéciales en Afrique subsaharienne, réside dans l'inexistence de forces de ce type ou dans l'opacité entourant leur existence (aucune publication, l'absence de faits d'armes, etc.). Nous allons donc nous baser essentiellement sur "l'Encyclopédie des Forces Spéciales du Monde", écrite par Jean-Pierre Husson, ouvrage d'excellence et de référence dans le domaine, pour présenter la notion de forces spéciales et montrer les limites à leur existence dans certains pays de cette zone géographique.
Jean-Pierre Husson précise dans son ouvrage que "le terme de forces spéciales (FS) ou special forces (SF) suivant la définition OTAN s’applique uniquement aux unités spécifiquement formées, instruites et entraînées pour mener un éventail de missions particulières, allant des opérations spéciales dans le cadre d’un conflit classique à celles relevant de la guerre non conventionnelle. Ces missions s’inscrivent dans un cadre essentiellement stratégique. De nombreuses unités d’élite, aéroportées ou à vocation particulière telles, par exemple, la 11ème brigade parachutiste française et les Royal Marines britanniques, ne sont pas considérées comme unités de forces spéciales suivant la définition OTAN. Même si, dans certains cas, elles intègrent une composante pouvant mener des opérations spéciales limitées. Bien souvent, ces unités, en mesure de conduire un spectre de missions très étendu, allant du combat en terrain accidenté ou en zone urbaine aux raids de commandos, ou d’action directe dans la profondeur du dispositif adverse, sont définies, à tort, forces spéciales ou d’opérations spéciales.
De même, les groupes antiterroristes comme le GIGN ou le RAID français ne sont pas des unités de forces spéciales. Ceci dit, certaines unités aéroportées ou d’infanterie de marine peuvent, à l’occasion, se voir attribuer des missions particulières relevant, par certains côtés, des opérations spéciales ou de guerre non conventionnelle (reconnaissance derrière les lignes adverses, action de guérilla, sabotage et destruction, etc.). Dans de nombreuses armées du monde, ce sont bien souvent, faute de mieux, les parachutistes et les fusiliers marins qui ont en charge de mener les opérations spéciales ou de guerre non conventionnelle. La définition de forces spéciales s’applique donc aux unités en mesure de mener, de façon autonome, des opérations d’une durée pouvant aller de quelques heures à plusieurs semaines, cela même dans un contexte hautement hostile. Agissant avec un effectif réduit contre des adversaires nettement plus nombreux, elles font appel à toutes sortes de techniques et de tactiques particulières ou spéciales dans le but d’exploiter les points faibles de l’ennemi et d’en tirer un avantage décisif.
Ainsi en temps de paix, elles doivent permettre au pouvoir politique le règlement de situations de crise qui ne peuvent trouver de solutions par la voie diplomatique ou par des moyens militaires classiques. En temps de guerre leur emploi doit s’inscrire dans un cadre stratégique pour apporter une contribution majeure à la victoire."
Jean-Pierre Husson donne donc, dans son ouvrage une définition admise des forces spéciales qui ramenée à l'échelon de l'Afrique subsaharienne, ne cadre pas avec les réalités des pays de cette région. En effet, faut-il rappeler combien de fois des militaires issus d'unités d'élites, considérées comme forces spéciales dans ces pays, ont été impliqués dans des coups-d'états. La Côte d'Ivoire et le Mali en sont l'illustration parmi tant d'autres. Ces exemples montrent bien un problème de gouvernance de ces unités d'élites, qui bien souvent sont intervenues dans des missions des Nations Unies. Les questions de professionnalisme, d'intégrité, de civisme et de respect des valeurs républicaines se posent alors et dénotent des limites de ces unités censées refléter l'excellence ou "l'élite" des forces armées desdits pays.
Pire encore, ces unités d'élite sont souvent instrumentalisées d'un point de vue politique et servent de "bouclier" à l'exécutif, pour se maintenir au pouvoir et ainsi tourner le dos à l'alternance démocratique. En effet, l'on assiste souvent à un suréquipement des unités d'élite avec, une dotation budgétaire bien plus conséquente que celles des unités classiques. Une véritable opacité, règne autour de ces unités, leur nombre, leur budget, leur équipement, demeurent un sujet tabou que même l'assemblée nationale ne peut examiner pour exercer un minimum de contrôle démocratique. Malheureusement, le contrôle démocratique ne s'applique pas aux forces spéciales qui bénéficient d'un statut dit "spécial" ou couvert du "secret défense". L'exemple de la Côte d'Ivoire est édifiant puisqu'il n'existe aucune information officielle sur les Forces Spéciales créées en 2012 et celles-ci disposent de moyens exceptionnels. Le budget et les dépenses relatives à ces forces spéciales ivoiriennes, demeurent opaques.
Un autre problème que rencontre les unités d'élite ou "forces spéciales" en Afrique subsaharienne est l'inadéquation entre les moyens mis à leur disposition et la nature des menaces à "neutraliser ou traiter." La persistance de la menace terroriste sur l'ensemble de cette région, prouve aussi l'inefficacité de la réponse des états africains mais surtout une absence de stratégie commune avec pour socle, la mise en commun des unités d'élites ou "forces spéciales" pour faire échec aux trois principaux groupes terroristes, que sont AQMI, Boko Haram et Al-shabbab. En effet, la criarde absence de moyens humains et matériels d'anticipation, de surveillance, de renseignement, d'action en profondeur et de reconnaissance en milieu hostile, vient conforter l'inexistence ou l'inefficacité des unités d'élites dans la lutte contre la terreur.
De ces trois points développés, il ressort effectivement que l'existence des forces spéciales en Afrique subsaharienne, reste à prouver du fait même de leur inaction ou de leur non-référencement. Mieux lorsqu'elles existent, un renforcement de capacités s'imposent tant au niveau technique, matériel, qu'humain. C'est donc leur qualité qui fait défaut, malgré les quelques rares exemples tels que le Tchad et l'Afrique du Sud. On se retrouve donc davantage dans le mythe que dans la réalité. Un mythe dont il faudra bien se sortir rapidement, si le continent qui aspire à une "solide" émergence, veut sécuriser ses acquis et son avenir.