Emergence en Afrique: les vrais défis
Alors que la Côte d'Ivoire abritait à Abidjan, les 18, 19 et 20 mars derniers, la Conférence Internationale sur l'Emergence de l'Afrique (CIEA), le continent subissait entre autres, les habituels assauts de la mal-gouvernance, de la corruption institutionnalisée, de la violence politique, de la famine, de l'injustice, des conflits armés, du terrorisme et du refus de l'alternance démocratique. Pour reprendre le Président Ouattara, dans son allocution d'ouverture, "l’émergence se construit dans la paix, la sécurité, le dialogue et la cohésion sociale’’. Alors qu'en est-il de la paix, la sécurité, le dialogue et la cohésion sociale en Afrique? Mieux, qu'en est-il d'un sujet bien épineux qui, dans plusieurs cas de pays en situation post-crise n'est pas pris de front, c'est à dire la réconciliation nationale? Oui, dans de nombreux domaines les choses bougent sur le continent, notamment en termes d'investissements, de partenariats, de financements, de réformes structurelles, d'industrialisation, de systèmes bancaires efficaces et d'intégration régionale.
Cependant, peut-on aujourd'hui alors que la plupart des indicateurs des pays africains sont dans l'orange ou le rouge, pour ce qui est de sujets touchants à la bonne gouvernance, la justice et la sécurité, affirmer que l'Afrique est sur la voie de l'émergence? L'émergence économique certes mais certainement par "l'émergence humaine". En effet, les défis majeurs liés au développement humain et à la sécurité humaine demeurent des préoccupations permanentes. L'Indice de Développement Humain (IDH) du PNUD publié en 2014, prouve bien que le chemin est encore long pour les pays africains. Les enjeux électoraux constituent une menace permanente sur la paix sociale dans les pays concernés, car souvent l'objet de conflits, du fait notamment d'une instrumentalisation des populations et d'une contestation des résultats.
Il apparait donc, réaliste de relativiser l'engouement autour d'une émergence africaine car, le plus dur reste à faire, à savoir, la transformation des mentalités pour une émergence durable et non sporadique donc fragile. L'émergence est avant tout une question "d'état d'esprit" puis une réalité matérialisée par des chiffres galopants, des économies florissantes, une pauvreté dégringolante, etc. L'émergence doit être définie, schématisée puis expliquée au public, traduite en plans d'actions détaillés et mises en œuvre. Il s'agit pour l'instant, d'un concept à élaborer dans sa stratégie car il y a plusieurs modèles d'émergence dans le monde. Mais que voulons nous en Afrique comme type d'émergence? Faut-il des émergences ou une émergence type promue par l'Union africaine ou une émergence régionale promue par les organismes sous régionaux? Les approches nationales ne sont-elles pas souhaitables compte tenu des spécificités locales? N'est-il pas trop ambitieux d'envisager une stratégie unique pour une émergence africaine?
L'émergence ne se décrète donc pas, elle se construit tout simplement. En Côte d'Ivoire, le concept n'a jamais été clairement énoncé. Il ressort des efforts entrepris dans des secteurs précis comme les finances, les infrastructures et les investissements, que l'essentiel du concept à l'ivoirienne repose sur les questions financières. Et pour cause les questions sociales, notamment la réconciliation demeurent à la traine. La sécurité quant à elle, connait une amélioration générale mais une étude en profondeur ferait ressortir les failles du système actuel notamment dans son volet "Réforme du Secteur de la Sécurité". N'oublions pas que ce sont les détails qui font la différence et qui bien souvent sont négligés, pour laisser la place à des conflits larvés qui débouchent sur des coups de force militaires.
Espérons que les conclusions de la dite conférence aboutiront de façon pragmatique et sans taboos à une prise de conscience générale des faiblesses de nos régimes et des efforts à entreprendre réellement pour arriver à un niveau de développement suffisament fort et transparent pour parler d'émergence.
Le quatre novembre 2014, nous avions publié un post intitulé: "consolidation du développement en Afrique: les sept stratégies". Nous allons ci-dessous, rappeler les sept stratégies que nous avions humblement suggérées, pour justement garantir selon nous, un minimum d'émergence du continent.
1/ L'acceptation de l'alternance démocratique est le socle de tout développement économique durable! En effet, toute négation de la démocratie est au 21ème siècle un gage de désordre et d'instabilité. Le constat est édifiant, les africains sont plus que jamais "éclairés", "connectés" et avides de liberté dans sa globalité. Un modèle de démocratie africaine est plus que jamais une nécessité pour adapter les réalités locales à la définition originelle. L'on pourrait d'ailleurs élaborer un modèle de démocratie africaine à partir de la synthèse des forces et faiblesses de cinq pays considérés comme étant des exemples à savoir: le Ghana, le Sénégal, le Cap-Vert, l'Afrique du Sud et le Maroc.
2/ L'acceptation du "passage de témoin générationnel" à de jeunes leaders "connectés"! Sur ce point il faut dire que les aînés ont encore du mal à faire confiance aux jeunes générations pour des raisons qui bien souvent ne sont plus d'actualités. Le développement d'une nation se fait par la sagesse de ses aînés et la fougue de sa jeunesse! Intégrer les générations plus jeunes, dans le débat politique et les préparer à diriger est un gage de transition générationnelle réussie. De plus en plus, les jeunes africains accèdent à des responsabilités longtemps réservées à des personnes d'un certain âge dans l'administration. Le renouvellement générationnel apporte entre autre avec lui, fraîcheur, fougue, ambition, ouverture d'esprit, adaptabilité et compétitivité. La relève doit donc être préparée et introduite très tôt, pour asseoir un développement viable et qui corresponde aux exigences de ce siècle et des siècles à venir.
3/ L'acceptation des règles de bonne gouvernance est primordiale! A ce sujet, il faut dire que seuls quelques pays africains se distinguent en la matière tel que le Botswana et l'Ile Maurice. Bafouer les principes de base que sont l'intégrité, la transparence, l'éthique et la "redevabilité" constitue un risque pour la crédibilité de toute démocratie digne de ce nom. Il serait donc judicieux que chaque pays africain dispose d'un organe chargé de veiller au respect des principes cités précédemment et chargé de sanctionner tout manquement.
4/ Le rejet de toute forme de violence anticonstitutionnelle. Ce point est crucial, car il met le doigt sur la question des coups-d'états militaires à répétition sur le continent et des tentatives de maintien anticonstitutionnel! Ce rejet, pourrait se matérialiser par la signature d'une charte d'inviolabilité de la constitution, par tous les acteurs politiques d'un pays donné. Toute intention ou décision anticonstitutionnelle est à proscrire. Les constitutions des pays pourraient aussi intégrer une disposition qui rejette catégoriquement toute prise de pouvoir par un militaire. Peu importe le motif, un militaire ne doit en aucun cas s'imposer comme président au prétexte d'une vacance de pouvoir.
5/ L'instauration d'un climat de sécurité favorable au développement du pays. Pour se faire, plusieurs mécanismes et dispositions doivent être mis en place. Les pays africains ayant des difficultés à assurer la sécurité de leurs populations du fait de la déliquescence de leur système de sécurité , pourraient faire appel à des sociétés privées de sécurité, spécialisées dans le conseil et l'intervention ponctuelle. Plusieurs sociétés existent dans ce domaine et ont fait leurs preuves sur de nombreux théâtres d'opérations dans le monde. La Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS) devrait également être une priorité pour les gouvernements africains soucieux de redorer le blason de leurs forces et soucieux de renforcer leurs capacités. La RSS lorsqu'elle est cohérente et inclusive permet de restructurer les forces chargées de la sécurité sur la base des grands principes de bonne gouvernance. Enfin, le renforcement des capacités des services de renseignement viendrait consolider l'édifice "sécuritaire" en anticipant les menaces qui guettent l'émergence, parmi lesquelles, le terrorisme.
6/ La mise en place de mécanismes de développement humain tangibles. En effet, l'Homme est au cœur du développement, il est à la fois acteur et témoin de son propre développement. Ainsi, le développement d'un pays, ne peut se faire en dehors du bien être de ce dernier. L'Indice de développement Humain (IDH) du PNUD, est une bonne boussole de développement qui sur la base de plusieurs indicateurs, donne la cartographie du développement humain dans le monde. Le constat est édifiant, les pays les moins démocratiques sont ceux dont l'IDH est le plus faible. Quelques exceptions existent mais pour l'essentiel, le développement humain repose sur une démocratie tangible. Les pays à fort indice de développement humain sont les plus démocratiques.
7/ "La transformation des mentalités" des citoyens à travers une culture civique bien ancrée dans les esprits. Les grandes nations démocratiques se sont construites certes sur plusieurs décennies mais elles ont surtout réussi le pari du développement grâce à une conscience collective de la notion de "patrie". C'est donc le civisme, qui est le "ciment" du développement des grands pays démocratiques. Cette question de civisme, s'applique aussi, aux régimes peu démocratiques mais qui réussissent leur développement tel que la République Populaire de Chine. En effet, le citoyen doit se considérer comme l'un des maillons de la chaîne du développement de son pays. Cette "conscience citoyenne" appelle un "devoir citoyen". Malheureusement dans bien des pays africains, la culture civique et patriotique fait défaut et explique aussi l'incapacité pour ces pays à aspirer à un développement durable, donc à l'émergence.
Pour conclure, nous souhaitons finir sur une note d'optimisme quant à l'avènement d'une "émergence intelligente et inclusive". Nous espérons donc, que la déclaration finale de la conférence internationale tiendra compte de certaines problématiques que nous avons examinées plus haut pour enfin, faire prévaloir l'ordre, la justice, la transparence, la redistribution des richesses et la sécurité humaine.