Sécurité en Afrique: Vers une redistribution des cartes?

Publié le par Jean-François CURTIS

Le continent africain subit une redistribution de l'influence des puissances étrangères. La prochaine tenue du Forum Inaugural Chine-Afrique sur la Sécurité et la défense, du 26 juin au 10 juillet, en Chine, atteste de cette évolution majeure dans les rapports militaires en Afrique. Les relations sino-africaines d'un point de vue militaire, ne se sont jamais portées aussi bien que ces dernières années. L'illustration la plus évidente de cet état de fait, est la présence militaire chinoise à Djibouti avec une base militaire aux côtés de celles de la France, des Etats-Unis, de l'Italie, de l'Arabie Saoudite et du Japon. La Russie n'est pas en reste avec selon certaines sources (sputniknews) une probable installation militaire dans le Nord de la Somalie, pouvant abriter 1500 soldats. Sans oublier bien entendu, que la Russie reste très active en Algérie, en Angola et en Ouganda notamment, dans le domaine de l'armement et de la formation. Pour ce qui concerne la Chine, le caractère offensif de son expansion en Afrique, appelle un certain sentiment de déjà vu avec la "France-Afrique" ou encore "l'hégémonie militaire américaine". Assistons-nous à une nouvelle forme d'influence, bien plus moderne et subtile dans ses rapports? D'autres pays conscients des enjeux sécuritaires et économiques sur le continent, cherchent à se positionner avec une présence ou une participation aux opérations, c'est le cas de l'Allemagne au Niger, du Royaume Uni au Kenya, de l'Inde à Madagascar, de la Turquie en Somalie, des Emirats Arabes Unis en Erythrée. Evidemment, l'influence américaine reste très forte avec une présence dans au moins 10 pays, active essentiellement en renseignement, formation, transport, projection de forces et unités spécialisées.

Cette montée en puissance de l'influence sino-russe sur le continent africain, se heurte cependant à l'historique influence postcoloniale de la France en Afrique francophone et particulièrement en Afrique de l'ouest où, la pénétration du marché de l'armement et de la coopération militaire reste encore au profit de Paris. D'ailleurs, des instituts privés comme THEMISS agissant essentiellement dans la sphère francophone, spécialisés en formation dans plusieurs domaines (management stratégique, conseil, RSS, etc.), témoignent de cette réalité. La France reste donc suffisamment influente et présente eu égard à ses emprises militaires majeures (au moins 7 bases) qui lui permettent d'agir avec efficacité et vélocité en cas de menaces.

En outre, cette expansion de l'influence militaire d'états non-africains sur le continent, reflète la fragilité des pays africains mais surtout les enjeux majeurs liés aux intérêts de ces états. Il n'est d'ailleurs pas futile, de rappeler la recrudescence d'un sentiment anti-étranger qui règne dans plusieurs pays dont le Niger et qui affecte la légitimité de l'action de ces pays partenaires, notamment dans la lutte antiterroriste. De plus, les initiatives militaires multilatérales comme la création de l'Académie Internationale de lutte antiterroriste en Côte d'Ivoire, en partenariat avec Paris pourraient également constituer de véritables talons d'Achille pour les pays hôtes, car exposant les populations à des représailles terroristes.

Ainsi, le développement de l'Afrique attire donc toutes les convoitises possibles de "grands pays" qui voient en cette attractivité de multiples opportunités tant économiques, diplomatiques que militaires. Alors, que font les pays africains pour sécuriser leurs ressources, leurs patrimoines et leurs populations face à ces convoitises? Comment s'organisent-ils pour fédérer les réflexions et créer une synergie africaine? Du "Forum International de Dakar" à celui de "Tana", les conférences et initiatives diverses pour mutualiser les moyens et faire face aux défis sécuritaires sur le continent sont une réalité. Cependant la question de l'influence militaire étrangère sur la dynamique de développement des pays africains est rarement évoquée. Au-delà des considérations militaires, il serait pertinent de mesurer l'impact socio-économique de la présence de militaires étrangers sur le sol d'un pays africain? Pour cela des études devraient être menées avec pour sujet, les bases militaires étrangères les plus importantes en Afrique.

Le "Forum de Tana" qui est l'une des rencontres panafricanistes les plus crédibles, s'est penché cette année sur "l'appropriation des solutions de paix et de sécurité en Afrique: financer et réformer l'UA". Ce thème conforte notre position qui encourage une prise en main africaine des enjeux sécuritaires. Comprendre les problématiques et menaces sécuritaires par une approche africaine c'est à dire "par les africains, pour les africains". Cette rencontre a souligné "l'autonomie" en tant que moyen de trouver des solutions locales aux problèmes de paix et de sécurité en Afrique. La question de "l'appropriation" a elle aussi été examinée en tant que "volonté politique et leadership adaptés aux actions des états-membres de l'UA qui respectent leurs engagements pour rétablir la souveraineté continentale sur les décisions de paix et de sécurité". 

L'Africa Security Forum (ASF) tenu lui aussi en 2018, au Maroc, a notamment mis l'accent sur la mise à niveau de l'UA dans le cadre de la prise en compte des nouveaux risques de conflictualité et sur une cohérence des actions des organisations régionales.

Le "Forum de Dakar", en son édition 2017 a quant à lui, inscrit la réflexion dans un contexte paternaliste avec une forte influence française. Il a mis l'accent sur la nécessité pour les africains, à engager des initiatives intégrées pour résoudre des problématiques complexes de sécurité et défense. Moins engagé sur l'autonomie des états africains à faire face aux problématiques sécuritaires, le Forum de Dakar a insisté sur l'approche multipartite aux crises sur le continent, basée sur la notion de partenariat.

De ces trois exemples d'initiatives africaines sur les questions de sécurité, l'on décèle une juste complémentarité et une nécessaire unicité dans la réflexion et l'action. Leur réussite visant à renforcer la paix et la sécurité sur le continent devrait, reposer sur ce qui suit: 1/ Des partenariats militaires plus équilibrés, cohérents et respectueux; 2/ Le renforcement des dispositifs nationaux d'alerte précoce et non la duplication des efforts; 3/ Une synergie avérée des initiatives diverses (anglophones, francophones, etc.) par la création d'une plateforme africaine unique d'échanges et de concertation entre elles (Dakar, Tana, ASF, etc.) afin de solliciter des solutions communes adaptées et réalistes aux défis sécuritaires; 4/ La création d'une Table Ronde des Bailleurs Africains sur la Sécurité et la Paix, pour examiner le financement des opérations de maintien de la paix et celui de la prévention des crises; 5/ La formulation par les états africains à travers l'UA, d'une politique continentale de sécurité visant à fédérer la réflexion, les efforts et ressources dans un but unique de paix continentale; 6/ Un allégement des dispositifs militaires étrangers sur le continent, pour favoriser un renforcement des capacités africaines dans ce domaine. Ce renforcement soulignerait l'appropriation des défis sécuritaires par les dirigeants africains eux-mêmes; 7/ Une impérative mutualisation des moyens et ressources des pays africains selon leurs possibilités, pour faire face aux enjeux sécuritaires.

 

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