Agenda stratégique: l'Afrique émerge-t-elle?
Nombreuses sont les initiatives en cours sur le continent africain, qui visent à développer une certaine autonomie en matière de réflexion stratégique dans tous les domaines. La tenue de grandes conférences internationales et régionales en Afrique pour des approches concertées et participatives, conforte ce constat. L’exemple du Forum de Tana tenu les 16 et 17 avril 2016, illustre parmi tant d'autres exemples cette volonté des leaders africains en l’occurrence Monsieur Obasanjo, de mettre l'africain au cœur de la réflexion de son devenir notamment sur les questions de sécurité. Quelle place pour l'Afrique dans l'agenda sécuritaire mondiale?
L'organisation de grands rendez-vous dans le secteur de la sécurité, reflète aussi cette tendance générale à l'instar de ShieldAfrica, qui ambitionne d'être un salon international de la sécurité et de la défense, de grande envergure à vocation africaine. Ceci traduit bien une prise en compte des enjeux géostratégiques dans le monde. En effet, l'Afrique qui rayonne par ses performances économiques et financières est au centre des convoitises des grands groupes industriels mondiaux. Les menaces sécuritaires y sont nombreuses et multiformes, engendrant des investissements majeurs, dans le secteur de la sécurité nationale.
De plus, la création de "réservoirs à idées" (Think Tanks) de plus en plus présents sur le continent illustre cette montée en puissance de la réflexion stratégique à haute portée régionale et internationale. Les structures telles que l'Institute for Security Studies (ISS) sud africain et le plus jeune Institut d'Etudes Stratégiques et de Défense ivoirien (IESD) contribuent à cette réflexion collective et inclusive.
Il apparaît donc clairement, qu'un état des lieux de cette réflexion stratégique puisse être réalisé, pour en apprécier l'impact réel sur le quotidien des populations africaines et également en termes de positionnement international. La problématique qui s'extrait de cette réflexion est la pérennisation de telles initiatives qui bien souvent, ne perdurent pas du fait d'une insuffisance d'appropriation et d'accompagnement.
Qui de mieux placer que l'africain lui-même pour s'approprier cette réflexion de façon décomplexée et mature? Et encore, ce concept de "solutions africaines aux problèmes africains" est-il viable? Les réalités africaines sont connues et ont fait l'objet de suffisamment d'études. Il est plus qu’impérieux que les initiatives africaines émergent davantage pour constituer un creuset de la réflexion stratégique. Le défi consiste donc, pour les états du continent à accepter et encourager la création de centres de réflexion privés, sans pour autant y voir une menace du fait de leur liberté de réflexion et de leur capacité, à proposer des solutions aux maux du continent. Le danger pour les états africains, n'est pas la multiplication des initiatives de réflexion stratégique, mais bel et bien un risque de sclérose intellectuelle du fait d'une censure insidieuse, qui joue le rôle d'une "valve limitatrice de flux" de la pensée libre.
En tout état de cause, la tendance est à la création de centres africains souvent associés à des structures internationales qui apportent leur expérience, leur notoriété et bien souvent, les financements. Qu'en est-il alors, de l'autonomie dans la réflexion? Peut-on être libre de choisir les thématiques, lorsque les financements y sont liés? N'y a-t-il pas une forme de dictature subtile de la pensée? Nous revenons une fois de plus au "nerf de la guerre", à savoir les ressources financières, préalables de toute matérialisation de la réflexion. En ce qui concerne les ressources humaines pour "armer" ces centres, l'Afrique dispose des compétences nécessaires et diverses. Les expertises sont multiples et disponibles.
Aussi, est-il essentiel de ne pas négliger l'apport inestimable de la réflexion stratégique panafricaniste qui par le biais de blogs, contribue activement à l’avènement d'une pensée stratégique autonome et pluridisciplinaire. Ainsi, les blogs d'experts apportent quelques solutions aux "casse-têtes sécuritaires" (lutte antiterroriste, crime transfrontalier, etc.) qui minent le développement du continent.
Pour conclure, l'Afrique émerge sans aucun doute dans l'agenda stratégique par la richesse qualitative et quantitative des travaux menés et initiatives engagées. Cependant, il reste beaucoup à faire notamment, pour atteindre un degré raisonnable d'autonomie de réflexion. Les états tout comme chaque citoyen, sont responsables de créer les conditions de mise en oeuvre de cet agenda stratégique.
Par Jean-François CURTIS