Corruption en Afrique: une dimension culturelle?

Publié le par Jean-François CURTIS

Corruption en Afrique: une dimension culturelle?

La corruption demeure une préoccupation de tout temps qui plombe les pays émergents. En Afrique, elle est ancrée dans les sociétés à un degré très avancé. Comment explique-t-on, malgré les initiatives diverses d’amélioration de la bonne gouvernance sur le continent, que nous en soyons à un niveau intolérable? La problématique de la corruption, peut être abordée selon plusieurs angles, mais pouvons-nous, l'examiner d'un point de vue culturel? Y-a-t-il en Afrique, une banalisation culturelle de la corruption?

En effet, chez Strategeo, nous nous sommes demandés, à la lumière de diverses publications et rapports, s'il n'y avait pas une corrélation entre la corruption et la culture en Afrique? En d'autres termes, des pays francophones et des pays anglophones, quels sont ceux qui sont les plus corrompus ou les moins enclins, à pratiquer une bonne gouvernance? Y a-t-il, une plus forte culture de la corruption en Afrique francophone ou anglophone? Cette problématique, est née de l'analyse des rapports publiés par Transparency International (Indice de Perceptions de la Corruption 2014) et par la Fondation Mo Ibrahim (Indice Ibrahim de la Gouvernance en Afrique 2015). Ces rapports évaluent le niveau de corruption et de gouvernance dans plusieurs pays, tout en mettant en avant les faiblesses et les points forts constatés. Nous allons donc, sur cette base, analyser ces deux rapports sous l'angle des performances des pays africains anglophones et francophones.

Dans le rapport produit en 2014 par Transparency International (Indice de Perceptions de la Corruption 2014), l'on dénombre parmi les 10 pays africains les moins corrompus (top 10), 06 pays anglophones et 04 pays francophones. Idem dans le top 10 des pays africains les plus corrompus, l'on retrouve la même proportion. S'agit-il d'une coïncidence ou d'une tendance? Il faut noter, que presque tous ces pays ont engagé une campagne contre la corruption ou essaie de le faire, en légiférant ou en créant des organismes pour lutter contre ce fléau. Si l'on s'en tient au chiffre, alors le top 10 traduit une meilleure gouvernance dans les pays anglophones. Cependant, de façon générale, le top 10 des pays les moins corrompus au monde, ne compte aucun pays africain. Par contre, l'on compte 05 pays africains parmi les 10 pays les plus corrompus au monde, selon le classement de Transparency. Le pays africain le mieux classé occupe la 31ème place, il s'agit du Botswana, un pays anglophone.

En outre, Transparency a publié ce jour, "un sondage d'opinion réalisé auprès du grand public (43 143 personnes) de 28 pays africains pour évaluer ses expériences et perceptions de la corruption". Cette enquête intitulée: "People and Corruption: Africa Survey 2015 Global Corruption Barometer", met en exergue ce qui suit: Sur les 28 pays concernés, les populations de 16 d'entre eux considèrent, que la corruption est en hausse (58%). Sur les 16 pays ayant connus une hausse de la corruption, 14 sont anglophones. En revanche, les populations de 06 pays sur les 28, considèrent qu'il y a une baisse de la corruption (22%), il s'agit de pays francophones. Bien que les résultats de ce sondage reflètent des opinions, il convient de relever une nette amélioration pour 2015 en ce qui concerne les pays francophones. Le prochain Indice de Perceptions de la Corruption, viendra conforter ou non, cette enquête.

Concernant l'Indice Ibrahim de la Gouvernance, publié en 2015, l'on retrouve dans le top 20 des pays affichant la meilleure gouvernance, 11 pays anglophones pour 06 pays francophones. Ce classement repose sur un total de 54 pays. Parmi les 10 pays affichant la pire gouvernance, l'on retrouve 05 pays anglophones pour 03 pays francophones.

Il semblerait donc, qu'en Afrique, les performances des pays anglophones en matière de lutte contre la corruption sont remarquables. L'on retrouve davantage de pays anglophones performants que de pays francophones. Peut-on alors identifié un lien culturel avec la corruption? La réponse est évidemment négative car une société n'émerge pas comme corrompue mais elle le devient. La corruption progresse dans les sociétés africaines, qui ont pour dénominateurs communs la pauvreté, l'instabilité politique, un faible développement humain et de sérieuses carences en démocratie. Pour preuve, les pays les moins performants ou mauvais élèves selon Transparency et la Fondation Mo Ibrahim, sont: Le Sud Soudan, le Soudan, la RDC, l’Érythrée, le Tchad, la RCA et le Zimbabwe.

La corruption n'a finalement rien de culturel, elle est endémique aux sociétés. Elle existe partout, frappe tous les milieux et se propage de plus en plus, malgré les dispositions et mécanismes mis en place. Chercher un lien culturel pour justifier un taux élevé ou non de corruption entre plusieurs pays est donc un périlleux exercice, car cela reviendrait à légitimer une forme de déterminisme social qui encouragerait le fatalisme. La vraie problématique devient alors de savoir s'il y a un lien entre démocratie, développement et corruption? Plus un pays est démocratique et développé, moins il est enclin à la corruption et inversement? Cette assertion est-elle avérée? Pas si évident que cela avec des contre-exemples comme l'Argentine et les Emirats Arabes Unis. Cependant, il est juste de reconnaître que plus une société s’imprègne des valeurs démocratiques et des systèmes en découlant, plus elle devient imperméable à la corruption et la combat. Le trafic d’influence, le népotisme et le favoritisme, encouragent la prolifération d'actes de corruption et accentuent ainsi le sentiment "qu'un comportement déviant devienne socialement normal".

Le dernier rapport de l'Insitut Legatum, intitulé "The 2015 Legatum Prosperity Index" ou "Indice de Prospérité Legatum 2015", indique effectivement qu'il y a bien un lien entre développement, démocratie et corruption. L'on compte parmi les 30 pays les moins prospères sur la base des critères retenus par l'institut Legatum (économie, entrepreneuriat, gouvernance, éducation, santé, sécurité, liberté, capital social), 24 pays africains. A l'analyse des critères mentionnés, il apparaît clairement que ce sont les pays les moins démocratiques et les moins développés qui sont les plus mal classés en matière de gouvernance. Même un pays comme la Côte d'Ivoire largement cité comme exemple d'émergence et l'un des meilleurs pays réformateurs selon le Doing Business 2015, est classé 118ème/142 pays avec un classement en gouvernance de 125ème/142. D'ailleurs, ces 24 pays africains sont parmi les pays à régime autoritaire selon le classement 2014 des démocraties, publié par The Economist (2014 Democracy Index).A contrario, dans le classement des 30 pays les plus prospères, l'on ne compte aucun pays africain.

En conclusion, l'on observe qu'en Afrique, plus un pays est démocratique, plus il est développé et moins il est corrompu. Le Botswana est d'ailleurs un exemple qui illustre cette idée, puisqu'il est reconnu comme démocratie imparfaite (The Economist: 28/167), il est moyennement prospère (Legatum : 77/142) et il est classé l'un des moins corrompus (Mo Ibrahim: 3/54)! En effet, bien que certains pays africains connaissent un boom économique et en "business", ils demeurent à la traîne en termes de gouvernance. Les pays à régime autoritaire, sont les moins développés et les plus corrompus!

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