Les trois piliers de la transformation des armées africaines
La Session Internationale de Réflexion Stratégique (SIRS) organisée par l'Institut d'Etudes Stratégiques et de Défense (IESD) du ministère de La Défense en Côte d'Ivoire, s'est achevée le vendredi 18 Novembre après une semaine de travaux fructueux. Plusieurs pays africains étaient présents et ont pu contribuer activement à ladite session. Cette session a permis, de couvrir plusieurs thématiques d'actualités et communes aux armées africaines, autour d'un thème central: "Menaces sécuritaires transnationales: vers une approche prospective africaine".
Les menaces étant diffuses et souvent évolutives, à l'instar du terrorisme dont les modes opératoires sont souvent innovants, il apparaît essentiel de souligner la nécessité de recourir à des réponses intégrées. Ainsi, nous observons une tendance à "sectorialiser" les solutions à ces problématiques sécuritaires selon le champ couvert. Il serait plus judicieux, d'aborder les menaces dans leur transversalité et leur globalité bien qu'ayant un caractère spécifique.
A cet effet, nous constatons que la résolution des problématiques sécuritaires, telles que le terrorisme et la piraterie maritime, nécessite une transformation progressive des armées reposant sur les trois (03) piliers suivants:
1/ L'appropriation de la réflexion stratégique
Nous avions consacré le 10 novembre 2014, un article sur l'absence des africains dans l'essor de la pensée stratégique et la nécessité de mettre en avant l'école stratégique africaine, constituée des grands stratèges africains passés comme présents. En effet, s'approprier la réflexion stratégique ou pensée stratégique, c'est reconnaître l'indispensable apport du continent dans l'évolution de la stratégie. Qu'en est-il de tous ces généraux, colonels, commandants et autres, africains, qui ont largement participé aux missions des Nations Unies, qui ont connu des faits d'armes majeurs et qui demeurent inactifs en matière de production stratégique? Pourquoi les soldats africains hésitent-ils à mettre sur papier, leur expérience et à la partager dans des espaces réflexifs idoines tels que les instituts et les centres d'études? Pourquoi les états africains hésitent-ils à mettre en avant les compétences nationales dans des domaines tels que la défense? L'étude des menaces et la polémologie en particulier, nécessitent une approche évolutive du fait même de la nature évolutive desdites menaces. L'Afrique est un continent particulier avec ses spécificités en termes de menaces et de risques. Il est donc grand temps, que les états africains encouragent la production stratégique africaine par des africains. Une telle prise en charge des questions stratégiques, viendra enrichir la réflexion internationale et surtout reflétera la densité de la pensée stratégique africaine.
2/ L'autonomisation des Armées
L'autonomisation des armées, est essentielle à la prise en compte des risques et menaces qui guettent ou qui minent le continent, elle est donc, un facteur crucial dans l'approche des défis sécuritaires sur le continent. Disposer d'armées autonomes, formées, entrainées et équipées, en un mot "opérationnelles", n'est plus un luxe mais un préalable pour faire face auxdits défis. L'essor d'une industrie de la défense africaine, contribuerait largement à cette autonomisation des Armées. Disposer de ses propres écoles, instituts et industries, constitue le socle de cette quête d'autonomie. Nous ne le dirons pas assez, dépendre de la coopération militaire internationale, pour garantir un minimum de capacité opérationnelle des armées africaines, n’est pas un gage de responsabilité, mais bien d’assistanat permanent. La coopération militaire internationale, se doit d’être à l’instar des rapports économiques, sur une base de partenariat gagnant-gagnant. Les instructeurs africains doivent former des soldats étrangers dans un contexte de renforcement des capacités. Les rapports militaires ne doivent pas être à sens unique (Nord vers le sud) mais bien d'égal à égal en dépit d'une supériorité militaire occidentale. L'exemple de la Côte d'Ivoire est édifiant sur ce point, car les Forces Armées de Côte d'Ivoire contribueront bientôt, de façon plus concrète aux missions des Nations Unies par la projection de bataillons dédiés.
3/ La gouvernance de la défense
La gouvernance du secteur de la défense représente le troisième pilier à prendre en compte dans l'engagement des armées et l'évolution des mécanismes sécuritaires. En effet, une bonne gouvernance du secteur de la défense, permet de l'assainir et de prôner les bonnes pratiques démocratiques même dans ce secteur réputé "opaque" du fait du "secret défense". L'introduction d'un indice de gouvernance de la défense en côte d'Ivoire, permettrait à titre d'exemple de mesurer la performance de l'institution militaire, sur 04 volets que sont la transparence, l'intégrité, la responsabilité et l'éthique. En outre, la gouvernance du secteur de la défense, c'est aussi la prise en compte de l'impact des changements climatiques sur les missions des armées africaines qui tendent vers une mission de surveillance et de police, induisant une approche plus écologique dans la conduite des affaires militaires (infrastructures écologiques etc.).
Enfin, ces trois piliers concourent donc à faire des armées africaines des armées plus responsables et capables de relever les défis sécuritaires de notre siècle. Il appartient en conséquence aux décideurs des états africains, de prendre conscience de la nécessité d'une transformation inclusive des armées qui repose sur une professionnalisation sans complaisance et une allocation budgétaire en adéquation.