Sahel: le terrorisme adopte la mutualisation

Publié le par Jean-François CURTIS

Les groupes terroristes ayant mutualisé leurs moyens par la fusion.

 

À l'heure de la mutualisation des moyens de Défense et de Sécurité des états africains pour lutter contre l'insécurité et contre tous les fléaux sécuritaires comme le terrorisme, le mois de mars 2017 restera gravé dans les esprits avec la fusion de plusieurs groupes terroristes au sein d'une nouvelle entité dénommée: Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin, le «Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans». En effet, Katiba Macina, Ansardine, Aqmi et Al Mourabitoun se sont unifiés, pour mieux faire face à leurs impératifs de propagation de la terreur en Afrique de l'Ouest. À la fois un message politique, une stratégie de communication et un tournant militaire, cette annonce témoigne sans ambiguïté, de la montée en puissance de la menace terroriste qui désormais mutualise les intelligences, les paradigmes, les idéologies et les ressources matérielles pour une action commune, mieux coordonnée, aux effets dévastateurs multipliés. Que faire face à une telle réalité? Les états africains de la région peuvent-ils, alors qu'ils peinent à réussir la mutualisation de leurs moyens de lutte antiterroriste, répondre à une offensive générale sur plusieurs fronts? Les attaques multiples depuis le 3 mars au Burkina Faso, au Niger et au Mali reflètent cette dure réalité.

Cependant, la fusion de ces groupes terroristes affiche aussi, une certaine fébrilité du fait d'une action internationale et sous régionale soutenue contre le terrorisme. Comme le dit l'adage: "l'union fait la force", alors ces groupes s'unissent pour annihiler leurs faiblesses et pour ne plus agir en solitaire. Il est alors important de concentrer l'analyse sur les implications de cette nouvelle donne:

1/ L'ascendant politique et idéologique: la réunification ou l'unification de ces groupes vise à véhiculer un message politique d'union contre l'occident et tous les pays impliqués dans la lutte antiterroriste. La dénomination de ce groupe unifié "Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans", affiche un objectif politique loin de la réalité et trompeur. Prônant ainsi un pseudo soutien à l'Islam et aux musulmans contre un ennemi fictif, l'objet reste flou et peu convaincant. Le groupe unifié cherche donc l'ascendant politique, sur les autres mouvances terroristes du continent et souhaite ainsi afficher une cohérence dans son action et surtout une supériorité vis à vis des groupes "concurrents". Les attaques récentes au Niger et ailleurs, constituent des coups d'éclat, pour attirer l'attention et exister parmi d'autres, il s'agit de "marquer son territoire". Les difficultés rencontrées par DAESH dans son expansion permettent à d'autres groupes qui en tirent des leçons, de réajuster leur stratégie de conquête en misant sur l'unité et la mutualisation.

2/ L'ascendant stratégique et tactique: d'un point de vue militaire, ces groupes très actifs dans la sous-région, cherchent à mutualiser leurs moyens de lutte pour mieux concentrer le "feu" sur l'adversaire. Les incursions répétées avec actes barbares au Niger, au Mali et au Burkina, permettent aux terroristes d'asseoir la terreur et de tester les dispositifs aux frontières de ces états. L'objectif étant clairement, de monter en puissance et de propager la terreur dans l'ensemble de la sous-région. La capacité de nuisance et la forte mobilité de ce groupe unifié, témoignent de sa bonne organisation et surtout de sa volonté d'en découdre avec les forces de sécurité des pays de la région, souffrant d'insuffisances capacitaires. En outre,  les multiples attaques de ces groupes terroristes depuis quelques mois, ont mis à mal la présence militaire étrangère dans les pays victimes, du fait de leur incapacité à prévenir ces attaques et même à les combattre. La présence de ces forces étrangères est fragilisée du fait de la forte activité des groupes et de l'impact de cette activité sur le moral des populations. D'ailleurs, l'installation récente d'une base américaine de drones au Niger aurait dû faciliter la surveillance desdits groupes et ainsi permettre de prévenir ces attaques. De tels moyens ISR (Intelligence, Surveillance et Reconnaissance) devraient impérativement servir à réduire leurs fréquences.

3/ L'ascendant d'influence et psychologique: La décision en février 2017, des 5 chefs d'états du G5 Sahel, d'en finir avec le terrorisme dans la région, en mutualisant leurs moyens et en renforçant leur coopération, a permis aux groupes terroristes de s'organiser pour mieux faire face à cette décision de riposte. En réponse à cette intention qui a du mal à se matérialiser sur le terrain, ces groupes frappent de plus en plus pour rechercher la supériorité en influence à travers une propagande et une communication efficace. La photo prise de l'unification des 04 groupes reflète effectivement cette volonté d'influencer la pensée et par conséquent de contraindre les populations à agir contre leur gré notamment par la soumission ou l'allégeance. La terreur est une terrible arme d'influence, d'une efficacité redoutable qui, à bien des égards a malheureusement fait ses preuves sur le continent. Enfin, les populations victimes de cette recrudescence de violence, souffrent davantage et remettent en question la présence de forces étrangères, perçues parfois comme incapables de prévenir cette violence armée. La contestation de la présence de bases étrangères est donc accentuée dans certains pays comme le Niger. Pire encore, l'incapacité sous régionale à donner effectivement vie à une force régionale mixte pour sécuriser les frontières et intervenir contre ces groupes, discrédite les gouvernements de ces pays et la CEDEAO, renforçant ainsi la posture terroriste.

Ainsi, la prochaine réunion des ministres de la Défense des états-membres de la CEN-SAD qui se tiendra en Côte d'Ivoire, devrait permettre d'examiner cette montée en puissance de la menace terroriste dans la sous-région et aboutir à des décisions majeures notamment, pour la mise en place diligente du centre de lutte antiterroriste de la communauté. La mutualisation des moyens est donc à l'ordre du jour, tant chez les états-victimes que chez les organisations terroristes. Il est donc grand temps que l'on passe des intentions aux actes, pour avoir une longueur d'avance sur la terreur.

 

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