Côte d'Ivoire: Un Institut d'Etudes Stratégiques et de Défense

Publié le par Jean-François CURTIS

Côte d'Ivoire: Un Institut d'Etudes Stratégiques et de Défense

La Côte d'Ivoire abrite depuis le jeudi 18 juin 2015, la session de lancement des activités de l'Institut d'Etudes Stratégiques et de Défense (IESD), ou plutôt, la session "test" pour envisager sa mise en place? L'initiative de création d'un institut spécialisé est à saluer et promouvoir sur le continent. D'ailleurs plusieurs pays sont des précurseurs en la matière notamment: le Maroc, l'Afrique du Sud et le Ghana. La Côte d'Ivoire accuse ainsi, un retard en matière de réflexions stratégiques, en dépit des multiples recommandations faites à ce sujet, depuis plus d'une décennie. Nous avions en avril dernier, publié un post relatif à la place des africains dans la réflexion stratégique, qui soulignait la nécessaire appropriation de cette réflexion, par les africains eux-mêmes ainsi que le caractère civilo-militaire d'un tel institut.

Nous allons donc, examiner les insuffisances de cette initiative, certes positive sur bien des points, notamment l'intention de créer l'institut. Cependant, si l'IESD souhaite rayonner à l'instar d'instituts de renom sur le continent, alors beaucoup reste à parfaire:

1/ De l'objectif de cette session: L'objectif de cette session demeure visiblement flou. S'agit-il d'une session de lancement ou pilote? Une session de lancement se tient après une session test et pas l'inverse. Comment lancer les activités de l'IESD qui n'est pas encore ouvert? Pour preuve qu'il y a une véritable ambigüité sur ce point, le ministre délégué à la Défense, soulignait dans son allocution d'ouverture : "Cette session pilote pourrait nous édifier à ouvrir l’institut souhaité par le chef de l’Etat ". L'IESD est donc toujours au stade de projet, mais dans ce cas, pourquoi annoncer une session de lancement des activités de l'institut? Une confusion règne donc quant à l'objectif à atteindre, c'est un handicap pour un institut voué à la réflexion stratégique. A l'heure des grands enjeux et des menaces insidieuses, la Côte d'Ivoire avait-elle besoin d'une session "test" pour évaluer la pertinence de l'ouverture d'un tel institut? L'actualité à elle seule, ainsi que la vision du Président Ouattara, suffisent amplement à ouvrir cet institut, sans passer par une phase pilote!

2/ Du choix des partenaires stratégiques de l'événement: sur ce point, le choix de la France est certes louable (solide expérience, financements, etc.) et justifié par la nature des relations franco-ivoiriennes. Cependant, un constat s'impose: qu'en est-il des incontournables instituts africains, qui interviennent depuis des décennies pour certains, sur les questions stratégiques? L'Institute for Security Studies (ISS, Afrique du Sud), le Centre Marocain d'Etudes Stratégiques (CMES, Maroc) ou encore le Centre International Kofi Annan de Formation au Maintien de la Paix (KAIPTC, Ghana), sont quelques références africaines. En effet, nous aurions souhaité une approche davantage panafricaniste, mettant en avant les acquis, ressources et expériences africaines au service d'un tel institut. La session "pilote", telle que décrite par le ministre délégué à la Défense, aurait pu bénéficier de la riche expérience de ces instituts africains et s'inspirer de leur processus de mise en place. Leur participation aurait donc, été d'un apport inestimable et aurait illustré l'appropriation africaine de la réflexion stratégique.

3/ Du contenu de la session de lancement: là aussi, nous saluons le choix des organisateurs qui ont en réalité, fait un "melting pot" autour d'un thème central: "les relations Armée-Nation, quel modèle pour l'Afrique?". Ce sujet certes "épuisé" et examiné depuis toujours par tant d'analystes, une fois de plus est sur la table comme thème central. On a vaguement une impression de "déjà vu" et de "réchauffé". A l'examen des différentes communications, il ressort notamment une faiblesse majeure qui est l'absence criarde de sujets hautement stratégiques tels que "le lien entre les relations civilo-militaires et la lutte contre le terrorisme". Pire, aucune des communications retenues, ne fait un bilan des relations civilo-militaires depuis plusieurs décennies. Une communication utile et pertinente aurait été la suivante: "Lien Armée-Nation, Bilan et perspectives en Afrique de l'Ouest". En outre, nous constatons que la place du civil dans la réflexion stratégique n'est pas exposée. Les relations Armée-Nation, ne se résument pas à des questions de défense, mais concernent aussi: la sécurité, la protection civile, la veille stratégique, l'intelligence stratégique, la gouvernance, etc. D'ailleurs, le lien entre les relations civilo-militaires et le contrôle démocratique, ne fait l'objet d'aucun exposé. Pour finir avec ce point, la première session aurait pu explorer les thèmes suivants: "La définition de la stratégie et une approche africaine de la réflexion stratégique", "la politique de défense de la Côte d'ivoire et un synopsis des politiques de défense de plusieurs pays", et enfin, "le lien entre le citoyen et son armée: quelle relation et comment faire face aux menaces?".

4/ De la sous-représentativité des stratégistes ivoiriens: sur ce point, les organisateurs ont négligé l'importance de la présence de stratégistes ivoiriens lors de cet événement. En effet, la participation d'experts nationaux, civils, en stratégie a été simplement minimisée. Les stratégistes ivoiriens étaient donc sous-représentés et surtout mis au second plan, eu égard au rôle de consultants auxquels ceux présents étaient relégués. Aucun stratégiste n'a d'ailleurs, été invité à faire une communication.

5/ Du rattachement institutionnel de l'Institut: l'IESD qui aurait pu avoir un caractère civil fortement marqué, tranche par son rattachement institutionnel, qui ne lui confère aucune autonomie dans la réflexion stratégique et dans le contenu des cours dispensés. Lorsque l'on sait qu'en Afrique les questions de défense et de sécurité demeurent tabous, l'on est en droit de s'interroger sur l'efficacité d'un tel institut à vulgariser la "chose militaire et la stratégie"? Jusqu'où les civils seront-ils autorisés à réfléchir et intervenir sur les questions de défense? Qui dirigera cet institut rattaché au Ministère de la Défense? Un civil ou un militaire? En outre, eu égard au rattachement institutionnel de l'IESD, il aurait été plus cohérent de le nommé ainsi: "Institut National d'Etudes Stratégiques et de Défense". Enfin, l'IESD aurait pu faire l'objet d'un partenariat sous régional pour sa création, ce qui aurait souligné la dimension africaine de son ambition et la prise de conscience d'une nécessaire responsabilité africaine.

Pour conclure, il est bon de rappeler que l'Armée est l'émanation de la nation et devrait, à ce titre, impérativement la refléter dans toute sa diversité et sa richesse. En outre, la dimension civile de l'IESD, devrait être prise en compte, à l'image de la citation de Georges Clémenceau : "La guerre! C'est une chose trop grave pour la confier à des militaires". Cette session qui prend fin le 25 juin prochain, aura au moins permis, d'évaluer l'intérêt national et international pour cette initiative. Cependant, il faudra bien tirer les leçons de la tenue de cette session, afin que les insuffisances susmentionnées, soient corrigées pour les futurs rendez-vous. Il y va de la crédibilité des autorités ivoiriennes!

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