La Réforme du Secteur de la Sécurité en Côte d'Ivoire: Quel Bilan partiel?
Le 29 septembre 2014, nous avions publié un article dédié à la réforme du secteur de la sécurité (RSS) intitulé: "la RSS en onze points". Cet article avait mis en exergue les préalables fondamentaux à tout processus RSS en devenir.
Après plus d'une année de mise en œuvre, nous allons évaluer l'état d'avancement de cette réforme à travers un ensemble d'indicateurs que nous avons identifiés et qui nous semblent pertinents. Il s'agit pour nous de contribuer à l'amélioration d'un processus sensible en soulignant ses faiblesses et ses forces. Cette évaluation n'engage que nous et se basera également sur un ensemble d'indices internationaux, tels que l'Indice de Paix Mondiale (Global Peace Index 2014).
Il est important de rappeler la qualité du travail abattu par le Conseil National de Sécurité (CNS), qui pilote le processus RSS en Côte d'Ivoire. En effet, le CNS coordonne la mise en œuvre du processus qu'il a élaboré au préalable et en assure le contrôle à partir d'un dispositif de suivi et d'évaluation. En très peu de temps, le CNS a pu réaliser certaines réformes programmées dans son calendrier d'exécution, mais il reste bien des réformes à réajuster et réaliser.
Notre évaluation vise donc, à modestement éclairer le CNS quant aux réajustements à apporter à ce processus en cours. Le système de notation part de 1 à 5 (faible réalisation à forte réalisation). Notre position d'experts, nous permet d'avoir un avis critique et constructif sur la mise en œuvre de la RSS, sur la base des indicateurs suivants:
1/ Bonne compréhension de la RSS par les acteurs concernés (3/5) : Sur ce point, la RSS est comprise par les acteurs concernés mais semble loin du citoyen qui en est le bénéficiaire. Pour preuve, sa cohérente formulation et sa mise en œuvre en témoigne. Cependant, il serait bon de consulter l'avis de la population quant à sa perception de la réforme en cours et la compréhension qu'elle en a. Une consultation nationale (sondage) serait donc à programmer pour éventuellement réajuster la stratégie de sensibilisation des populations ainsi que les réformes programmées.
2/ Engagement du politique et appropriation nationale de la RSS (5/5) : Cet indicateur est l'un des plus forts, car la Côte d'Ivoire a réussi la phase d'appropriation du processus. Mieux, l'exécutif s'est pleinement engagé dans la formulation et la conduite dudit processus, en témoigne le pilotage par le CNS.
3/ Elaboration d'une politique de sécurité nationale et vote d'une loi de programmation dédiée (2.5/5) : Le CNS a élaboré une stratégie de sécurité nationale, qui décline l'ensemble des orientations stratégiques. Cependant, l'élaboration puis le vote d'une loi de programmation de sécurité nationale, demeure au stade de la programmation. Ceci constitue donc une faiblesse majeure, car une loi de programmation inscrit une politique dans une programmation cohérente et structurée.
4/ Budget spécifique à la RSS (4/5) : l'on peut dire que la réforme en cours ne manque pas de ressources pour sa mise en œuvre. Pour preuve le taux d'exécution des réformes urgentes (17/34 réformes réalisées à septembre 2014 soit 50% de réalisation) et les acquisitions faites en matériel pour les forces chargées de la sécurité.
5/ Processus inclusif et participatif (4/5) : Le CNS a su rendre le processus RSS inclusif et participatif, en témoigne les différentes consultations et la participation de tous les acteurs concernés, tant dans la formulation que dans l'exécution de la RSS.
6/ Appui financier et technique de la communauté internationale (5/5) : Il faut saluer l'implication de l'ONU et de tous les bailleurs dans l'accompagnement financier et technique de la réforme en Côte d'Ivoire.
7/ Contrôle démocratique du processus RSS (2/5) : En dépit de l'implication de l'assemblée nationale dans le processus en tant qu'acteur, il est bon de relever l'insuffisante implication de l'institution dans le contrôle de l'exécution du processus et de sa conformité aux exigences de bonne gouvernance. Il serait judicieux que le CNS rende compte régulièrement de ses activités à l'institution, dans un souci de gouvernance du secteur de la sécurité.
8/ Transversalité et globalité du processus RSS (2/5) : A ce jour, bien des efforts ont été faits pour réorganiser les systèmes de sécurité, mais tous les acteurs ne bénéficient pas d'un traitement égal pour ce qui est de l'allocation des ressources tant financières que matérielles. Les forces armées, la police et la gendarmerie sont les principaux bénéficiaires de ressources mises à disposition, ce qui tant à creuser un fossé dans la prise en compte globale des réformes.
9/ Efficacité du processus RSS (2.5/5) : Le taux d'efficacité du processus doit être mesuré, pour apprécier l'état d'avancement des réformes conformément au calendrier d'exécution. A ce titre, sur 34 réformes urgentes (à réaliser avant aout 2014), seulement 17 ont été réalisées à septembre 2014. soit un taux d'efficacité de 50% (17/34). L'objectif initial n'est donc pas atteint. Ce taux eu égard à la programmation faite par le CNS, traduit une faiblesse majeure et impacte directement la mise en œuvre des réformes à court, moyen et long termes. Un réajustement s'impose donc, pour relever ce taux. Une révision des réformes est souhaitable, pour identifier les réformes les moins ambitieuses et celles qui sont davantage réalisables car réalistes et pragmatiques.
10/ Perception des indices internationaux (3/5) : La prise en compte de l'appréciation de notre processus, par des indices internationaux est un bon indicateur général de la bonne exécution de ce dernier, qui s'il est mené comme il le faut, impacte positivement l'ensemble de la sécurité nationale. A ce titre, l'Indice de Paix Mondiale (Global Peace Index 2014), classe la Côte d'Ivoire 140ème/162 pays notés. Le classement global n'est pas bon mais les questions de sécurité sont globalement bien notées (faible taux de militarisation par exemple).
11/ Mécanisme de suivi et d'évaluation de la RSS (2/5) : Le CNS a mis en place, un mécanisme de suivi et d'évaluation du processus, qui se base sur un système informatique que renseigne tous les acteurs. Ce mécanisme est donc discutable, dans la mesure où les acteurs sont à la fois juges et parties de leur propre performance. Ne serait-il pas plus efficace, d'externaliser le suivi et l'évaluation du processus et de rendre ainsi le dispositif plus indépendant et donc plus objectif? Le CNS poursuivrait sa mission de coordination et disposerait d'un mécanisme de suivi et d'évaluation plus pertinent et davantage crédible. L'efficacité du processus s'en verrait relevée.
Analyse:
La prise en compte de l'ensemble de nos onze indicateurs donne une moyenne de 3/5 au processus RSS. Cette note reflète le niveau de réalisation et de compréhension du processus à la date d'aujourd'hui. L'on peut donc affirmer que l'évaluation partielle du processus est bonne.
Cependant le plus important reste à faire puisqu'il faut réajuster les réformes à venir à la lumière des résultats obtenus à cette date. Trois indicateurs sur onze sont en dessous de la moyenne et pas des moindres: le suivi/évaluation, la transversalité et le contrôle démocratique. Ces faiblesses doivent donc être prises en compte urgemment. Pour ce qui est de l'efficacité du processus, le fait d'avoir réalisé la moitié des réformes urgentes est une faiblesse majeure également car elle reflète un retard qui impactera la mise en œuvre des autres réformes. La loi de programmation de sécurité nationale doit elle aussi être élaborée rapidement puis passée devant les députés pour vote. Enfin il faudra procéder à une large consultation de la population par une enquête d'opinion sur la RSS et la perception des populations en 2015.
Pour finir, le Conseil National de Sécurité pourrait à l'instar de notre évaluation, créé son propre indice annuel de mise en œuvre de la RSS qui s'appuierait notamment sur les indicateurs susmentionnés pour évaluer la performance du processus. Cet indice devra être un gage de transparence et de gouvernance de la RSS qui serait publié et mis à la disposition du citoyen.