Djihadisme: la Côte d'Ivoire donne le ton

Publié le par Jean-François CURTIS

La lutte antiterroriste en Afrique compte depuis ce jeudi 18 octobre 2018, un outil de formation, de recherche, d'échanges et de renforcement des capacités, à savoir la future Académie Internationale de Lutte Contre le Terrorisme (AILCT) de Jacqueville, en Côte d'Ivoire. Le lancement des travaux de ladite académie s'est fait conjointement par le Ministre français Jean-Yves Le Drian et le Ministre d'Etat, Ministre de la Défense ivoirien, Hamed Bakayoko. Annoncée comme un outil permettant aux pays africains de développer et de partager leurs capacités de lutte antiterroriste, cette académie en construction repose sur un paradigme qui a déjà montré ses limites, à savoir: "la riposte militaire comme solution à l'éradication du terrorisme".

En effet, inutile de citer tous les exemples de ripostes militaires qui, à elles seules non pas pu venir à bout du phénomène meurtrier mais qui ont certes contribué à l'affaiblir. Qu'il s'agisse de Boko Haram, d'Al Shebaab ou encore du GSIM (Groupe pour le Soutien de l'Islam et des Musulmans), tous ces groupes ont subi de lourdes pertes tant en effectifs qu'en matériels. Leur capacité de nuisance ne s'en retrouve pas pour autant réduite. Au contraire, en dépit d'une baisse du nombre de victimes et d'attentats depuis quelques années, il semble que le phénomène perdure en intensité et rayonne encore. L'exemple de son intensification en Afrique de l'Ouest et dans le sahel, témoigne de ce constat. Le Burkina Faso qui enregistre 243 morts depuis 2015 du fait d'actes terroristes, peut témoigner de cette réalité implacable. Les frontières de ce pays subissent des assauts réguliers, des exactions sont commises, des enlèvements, des assassinats ciblés et un nouveau front se développe dans l'Est à grands pas, pour déstabiliser ce pays mais surtout ouvrir d'autres brèches qui pourraient permettre une percée vers le Niger, la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Bénin et le Togo. Une fois le "front Est" ouvert alors, les mouvements terroristes agissant dans le Sahel tel que l'EIGS (Etat Islamique au Grand Sahara) pourront aisément frapper ces pays frontaliers déjà peu outillés pour faire face à des attaques.

Aussi, est-il essentiel de rappeler que la lutte contre le terrorisme est une lutte transversale qui nécessite des approches intégrées et inclusives. Son caractère multidimensionnel en fait un phénomène mouvant et insidieux. La question de la radicalisation et du recrutement des jeunes constitue le socle de cette lutte, alors, comment étouffer ce phénomène? En s'y attaquant à la racine. C'est en cela que nous considérons la création de cette académie qui coute approximativement 20 millions d'euros comme une académie de plus, comme un centre de plus pour former et réfléchir. D'ailleurs, elle prévoit la création d'un institut de recherche stratégique alors qu'il existe en Côte d'Ivoire un Institut d'Etudes Stratégiques et de Défense (IESD) outillé pour mener la même mission. Attention à la redondance des mécanismes et des structures. Plusieurs initiatives existent déjà sur le sujet, par exemple le Collège de Défense du G5 Sahel qui mutualise les moyens pour former tant d'un point de vue académique, mais aussi opérationnel les forces engagées dans la lutte contre le terrorisme. Pour rappel, l'Egypte prévoit créer dans le cadre de la CENSAD un centre de lutte antiterroriste, pour bénéficier des échanges d'expériences des pays membres sur le sujet. N'aurait-il pas été plus efficace de fondre l'initiative ivoirienne avec celle du G5 et de la CEN-SAD? Les problématiques sécuritaires se rejoignent et son partagées par tous les pays d'Afrique. Les 20 millions d'euros n'auraient-ils pas pu servir à créer un centre civilo-militaire régional de lutte contre la radicalisation et le terrorisme? Un tel centre aurait eu une vocation transversale pour traiter du terrorisme et ainsi couvrir toutes les facettes du phénomène (pas seulement la dimension militaire). Une autre option pour allouer les 20 millions d'euros, aurait pu être de renforcer les capacités opérationnelles (formation, équipements et matériels) des forces spéciales des pays susmentionnés, déjà très affectés par ce fléau. 

En outre, le terrorisme se nourrit des carences des états de la région que nous catégorisons comme suit: 1/ la carence politique, illustrée par la situation au Mali, pays divisé, servant de base de repli, qui permet aux groupes terroristes de se mouvoir et de s'organiser dans un climat d'instabilité et ainsi d'étendre la toile de la terreur dans la région. Il s'agit plus que jamais, d'éviter les poches d'instabilité issues de contestations ou de coups d'état qui pourraient faciliter l'expansion terroriste; 2/ la carence capacitaire, illustrée par les attaques régulières au Burkina Faso, profitant des limites en capacités de mobilité et de réaction des forces burkinabés, cette limite capacitaire se retrouve dans tous les pays de la sous-région. Le manque d'équipements adéquats, le maillage territorial limité pour riposter face à un modus operandi de plus en plus musclé des terroristes, affaiblit la réponse armée; 3/ la carence socio-économique, reflétée par l'exploitation des faiblesses des états dans la prise en charge des populations de certaines régions dites délaissées. Ainsi les groupes terroristes instrumentalisent les frustrations et les revendications sociales pour légitimer leur recrutement et leur action; 4/ la carence stratégique et législative illustrée par plusieurs pays qui ne disposent pas de vision, ni de stratégie de lutte contre le terrorisme, encore moins d'un arsenal juridique adéquat pour encadrer la lutte contre ce phénomène. A ce sujet bien qu'en avance sur d'autres pays, la côte d'Ivoire n'a toujours pas adopté sa stratégie nationale de lutte contre le terrorisme; 5/ la carence participative, qui met en exergue l'insuffisante implication de la société civile et des communautés dans le cadre de la lutte antiterroriste, du fait d'une proéminence de la dimension militaire. Cette carence affecte l'anticipation de la menace et le dispositif de veille, supposés reposer sur un dispositif de renseignement efficace. 

Enfin, nous encourageons le principe du renforcement des capacités des états engagés dans la lutte contre le terrorisme, mais en soulignant l'impérieuse nécessité de mutualiser les moyens tant matériels, qu'humains, qu'infrastructurels ou autres pour ainsi réaliser des économies et concentrer les efforts vers un but commun. La multitude d'initiatives visant un même intérêt est à proscrirere car favorisant l'inefficacité, à l'instar des multiples initiatives de systèmes d'alertes précoces ou autres mécanismes de veille mise en place par les organisations régionales (CEDEAO, UEMOA, etc.).

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